Déclaration des co-procureurs concernant l'Accusée IENG Thirith

Aujourd’hui, les co-procureurs ont interjeté appel de la décision rendue hier par la Chambre de première instance, en demandant l’annulation de la partie du dispositif ordonnant la mise en liberté sans condition de l’Accusée IENG Thirith. La Chambre de première instance a conclu que IENG Thirith est actuellement mentalement inapte à être jugée et à répondre des allégations de crimes contre l’humanité commis pendant la période du Kampuchéa démocratique. Les co-procureurs conviennent sans réserve avec la Chambre de première instance qu’il y a lieu de remettre l’intéressée en liberté au vu des conclusions des experts nationaux et internationaux ayant reconnu son inaptitude à être jugée jusqu’à nouvel ordre. Ils estiment toutefois que cette mise en liberté aurait dû être assortie de conditions.  

Même s’ils reconnaissent que la Chambre de première instance a conclu à raison que l’Accusée souffrait d’une dégénérescence de ses facultés cognitives, les co-procureurs relèvent néanmoins que la Chambre n’a pas écarté la possibilité (aussi infime soit-elle) d’une amélioration de son état qui permettrait la reprise de son procès à une date ultérieure. Ils considèrent par conséquent que la Chambre de première instance est légalement fondée à prévoir des conditions ayant un effet contraignant – pour autant qu’elles soient limitées, raisonnables et proportionnées –  et à assortir la mise en liberté de IENG Thirith de l’obligation de les respecter.

L’objet de ces conditions ayant un effet contraignant est de s’assurer 1) que l’Accusée ne se soustraie pas à la compétence des Chambres extraordinaires, 2) qu’elle s’abstienne de toute tentative d’influencer tout témoin ou tout accusé comparaissant au procès, 3) qu’il ne soit pas porté atteinte à sa sécurité et à l’ordre public et 4) que son état de santé soit dûment contrôlé pour permettre à la Chambre de première instance de rester informée de l’évolution de sa maladie.    

L’appel des co-procureurs repose sur les moyens suivants, faisant respectivement valoir que la Chambre de première instance a commis :

1)    une erreur en droit en disant qu’elle est empêchée d’exercer sa compétence à l’égard de l’Accusée et en renonçant effectivement à l’exercice de cette compétence ;   
2)    une erreur en droit en n’appliquant pas, en écartant ou en omettant d’examiner les fondements juridiques à sa disposition pour continuer à exercer sur l’Accusée un contrôle judiciaire passant par l’imposition de certaines conditions à sa mise en liberté ;  
3)    une erreur en droit en ordonnant la mise en liberté sans condition de l’Accusée au lieu d’assortir cette mise en liberté de mesures raisonnables de contrôle judiciaire ;   
4)    une erreur en fait ou dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en concluant que des conditions ayant un effet contraignant, prévues dans le cadre d’un contrôle judiciaire, s’avéreraient inapplicables ou impossibles à mettre en œuvre.     

Dans leur appel, les co-procureurs demandent à la Chambre de la Cour suprême d’annuler la partie de la décision de la Chambre de première instance où cette dernière conclut qu’elle ne dispose d’aucune base légale justifiant qu’elle impose que IENG Thirith reste sous l’effet de mesures de contrôle judiciaire une fois remise en liberté, et de modifier cette conclusion de manière à contraindre l’Accusée (si nécessaire, par l’intermédiaire d’un tuteur ou d’un curateur désigné par les autorités nationales compétentes) de se soumettre à l’obligation de respecter les conditions spécifiques proposées par les co-procureurs. Ces conditions visent à protéger et concilier comme il se doit les droits et les intérêts légaux concurrents que fait naître sa mise en liberté.  

Les conditions spécifiques proposées par les co-procureurs sont les suivantes :

1)     qu’elle réside à l’adresse précise qui sera communiquée par ses co-avocats ;
2)     qu’elle soit disponible pour une vérification hebdomadaire de la part des autorités ou des responsables nommés par la Chambre de première instance ;
3)     qu’elle rende son passeport et sa carte d’identité nationale ;
4)     qu’elle ne communique pas, soit directement ou indirectement, avec les autres co-accusés (à l’exception de son mari, IENG Sary) ;
5)     qu’elle n’entre pas en contact, de façon directe ou indirecte, avec tout témoin expert ou victime dont la comparution est prévue par la Chambre et qu’elle n’entrave pas, de quelque façon que ce soit, l’administration de la justice ; et
6)     qu’elle subisse tous les six mois un examen médical administré par des professionnels de la santé nommés par la Chambre de première instance.

Les co-procureurs maintiennent qu’il est justifié de remettre IENG Thirith en liberté, mais, au vu des circonstances de l’espèce, ils restent également convaincus du caractère approprié, nécessaire et proportionné des conditions qu’ils proposent d’assortir à cette mise en liberté, conditions qui, selon eux, ne sauraient avoir de véritable effet si on se contente de les formuler sous la forme de simples demandes.

En appréciant les conditions à assortir à la mise en liberté de IENG Thirith, il est primordial de prendre en compte les droits et les intérêts, non seulement de l’intéressée, mais également des victimes, des parties civiles, du Bureau des co-procureurs et de la communauté internationale. Il convient également de dûment prendre en considération des facteurs tels que la réconciliation nationale, la stabilité du pays, la justice, l’ordre public et la sécurité. L’insistance des co-procureurs à voir la mise en liberté de IENG Thirith assortie des conditions qu’ils proposent répond à leur souci de protéger et concilier comme il y a lieu les droits et les intérêts de tous, afin de garantir la parfaite conformité des procédures devant les CETC avec les normes internationalement reconnues en matière de droits l’homme.

Dans une demande distincte, les co-procureurs ont demandé au Président de la Chambre de la Cour suprême de suspendre la partie du dispositif de la décision de la Chambre de première instance ordonnant la mise en liberté immédiate de IENG Thirith, jusqu’à ce qu’il ait été statué sur leur appel en application de la règle 82 6) du Règlement intérieur.  

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LIRE LA DÉCISION DE LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE DU 13 SEPTEMBRE 2012 (E138/1/10)