Questions et réponses sur la mise en liberté de Ieng Thirith

Le 16 septembre 2012, l’Accusée Ieng Thirith a été mise en liberté sur décision des CETC mettant fin à sa détention provisoire. Des réponses sont apportées ci-dessous aux questions les plus fréquemment posées au sujet de cette mise en liberté et de l’aptitude de l’accusée à être jugée.
 
Q. Pourquoi Ieng Thirith a-t-elle été mise en liberté ?

Le 13 septembre 2012, la Chambre de première instance a conclu que Ieng Thirith restait inapte à être jugée, en raison de la démence modérée à grave, fort probablement de type Alzheimer, dont elle souffrait. Elle a ordonné la mise en liberté immédiate et inconditionnelle de l’accusée, estimant qu’il n’était plus envisageable qu’elle soit jugée devant les CETC et qu’il n’était donc plus légalement justifié de la maintenir en détention. La décision du 13 septembre 2012 faisait suite à celle du 16 novembre 2011, par laquelle la Chambre de première instance avait également déclaré Ieng Thirith inapte à être jugée, mais qui avait été suivie de traitements médicaux supplémentaires sur ordre de la Chambre de la Cour suprême saisie d’un appel des co-procureurs.

La Chambre de première instance a considéré que la perte de mémoire à long et à court terme dont était victime Ieng Thirith l’empêcherait de comprendre suffisamment le déroulement du procès pour pouvoir donner des instructions à ses avocats et participer effectivement à sa défense. Elle a également jugé peu probable que l’état de santé de l’accusée lui permette de déposer au procès.
 
Tout en convenant avec la Chambre de première instance que Ieng Thirith devait être mise liberté, les co-procureurs tenaient à ce que cette mesure soit assortie de certaines conditions contraignant notamment l’accusée à remettre son passeport et sa carte d’identité aux autorités, et à se prêter à un contrôle hebdomadaire de la part d’autorités compétentes. Ils ont interjeté appel de la décision de la Chambre de première instance portant mise en liberté inconditionnelle, et ont demandé au Président de la Cour suprême de suspendre cette mesure en attendant que leur recours soit tranché.
 
Le 16 septembre 2012, le Président de la Cour suprême a jugé qu’il n’était pas nécessaire de détenir l’accusée pendant que l’appel était en délibéré. Il a toutefois assorti la mise en liberté des conditions suivantes : Ieng Thirith doit 1) informer la Chambre de son lieu de résidence et obtenir l’autorisation de celle-ci pour en changer, 2) remettre son passeport aux autorités et rester au Cambodge, et 3) répondre à toute assignation de la Chambre. La décision du Président rappelait également à l’accusée qu’elle devait s’abstenir d’entraver l’administration de la justice.
 
Q. Est-ce que cela signifie que Ieng Thirith est reconnue non coupable des charges retenues à son encontre ?

Non, ni la Chambre de première instance, ni la Chambre de la Cour suprême ne se sont prononcées sur la culpabilité ou l’innocence de Ieng Thirith des chefs de crimes contre l’humanité, de violations graves des conventions de Genève de 1949 et de génocide retenus contre elle. Les poursuites engagées contre elle sont suspendues depuis que la Chambre de première instance l’a déclarée inapte à être jugée en novembre 2011, mais les accusations portées contre elle ne sont pas levées. Ieng Thirith reste accusée devant les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC).
 
Q. Comment se fait-il qu’elle puisse être mise en liberté si elle est encore accusée ?

Dans sa décision faisant suite au réexamen de l’aptitude de Ieng Thirith à être jugée, la Chambre de première instance a considéré qu’il n’existait aucune perspective raisonnable que l’accusée recouvre les fonctions cognitives qui la rendraient apte à être jugée dans un avenir prévisible, et que son maintien en détention emporterait violation de ses droits fondamentaux, notamment celui, garanti en droit interne comme international, de ne pas être détenue indéfiniment.
 
Ni les co-procureurs, ni la Défense n’ont contesté la mise en liberté ordonnée par la Chambre de première instance. La seule question portée en appel est celle des conditions que la Chambre de première instance aurait le pouvoir d’imposer à l’accusée ainsi libérée.

Q. La mise en liberté de Ieng Thirith affecte-t-elle le procès en cours des trois autres co-accusés du dossier no 002 –Nuon Chea, Khieu Samphan et son époux Ieng Sary ?

Non, les poursuites engagées contre Ieng Thirith ont été disjointes du dossier no 002 en novembre 2011, et elles sont suspendues depuis cette date. Le procès des trois co-accusés restants se poursuit.
 
Q. Comment les CETC ont-elles déterminé l’aptitude de Ieng Thirith à être jugée ?

L’examen de l’aptitude de Ieng Thirith à être jugée a débuté en avril 2011, devant la Chambre de première instance, à la suite d’une requête de son équipe de défense faisant valoir que l’intéressée était inapte à être jugée. Les avocats ont fait état de difficultés à obtenir des instructions de leur cliente quant à la façon de la défendre. La Chambre de première instance a alors chargé cinq experts médicaux d’évaluer la santé mentale et physique de Ieng Thirith, et a tenu des audiences publiques, en août et octobre 2011, pour entendre les experts en leurs conclusions. Selon celles-ci, la patiente souffrait d’une démence qualifiée de « légère à modérée », probablement liée à la maladie d’Alzheimer.

La Chambre de première instance a alors considéré les informations médicales fournies par les experts à la lumière de plusieurs critères établis par la jurisprudence internationale en matière d’aptitude à être jugé. Le 17 novembre 2011, dans sa première décision en la matière, ayant conclu que Ieng Thirith n’était pas apte à passer en jugement au regard des critères en question, elle a disjoint les poursuites engagées à son encontre de celles dont faisaient l’objet les autres co-accusés du dossier no 002, a suspendu les poursuites dans son cas et a ordonné sa mise en liberté inconditionnelle.
 
Cette décision ayant été portée en appel, la Chambre de la Cour suprême a jugé le 13 décembre 2011 que les CETC étaient tenues de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles d’améliorer la santé mentale de Ieng Thirith en vue de lui permettre de recouvrer son aptitude à être jugée. Elle a ordonné à la Chambre de première instance de mettre en œuvre, en consultation avec ses experts médicaux, un programme de traitement supplémentaire et de réexaminer l’état de santé de la patiente dans les six mois à compter du début de ce traitement.

À l’issue du traitement médical administré comme requis par la Chambre de la Cour suprême, la Chambre de première instance a chargé les cinq experts médicaux qu’elle avait précédemment désignés de réexaminer Ieng Thirith les 27 et 28 août 2012. Sur la base de divers examens et tests administrés à l’accusée, ainsi que d’entrevues avec elle et le personnel soignant concerné, les trois experts – les docteurs John Campbell (Nouvelle-Zélande), Seena Fazel (Royaume-Uni) et Huot Lina (Cambodge) – ont déclaré aux audiences des 30 et 31 août que la santé mentale de l’accusée s’était détériorée malgré les traitements supplémentaires et qu’elle souffrait d’une démence qualifiée de « modérée à grave », présentant un caractère permanent et irréversible. Il n’existe pas d’autres traitements médicaux susceptibles d’améliorer ses facultés cognitives en vue de lui permettre de recouvrer son aptitude à être jugée.

Le 13 septembre 2012, la Chambre de première instance a maintenu sa précédente décision déclarant que Ieng Thirith n’était pas apte à être jugée et a ordonné que l’accusée soit mise en liberté, sans assortir cette mesure de conditions ayant un effet contraignant. Les co-procureurs ont interjeté appel de la décision de ne pas retenir de telles conditions.

Q. Que signifie l’aptitude à être jugé ?

L’aptitude à être jugé est l’expression d’un principe général selon lequel une personne accusée ne peut être jugée si elle n’est pas mentalement ou physiquement capable d’exercer les droits qui lui sont garantis dans le cadre d’un procès équitable, c’est-à-dire de comprendre la nature des accusations portées contre elle, de comprendre le déroulement et les conséquences de la procédure judiciaire engagée contre elle, de comprendre les éléments de preuve dans le détail, de donner des instructions à ses avocats et de faire une déposition.
 
L’aptitude à être jugé fait l’objet d’une décision de justice, les juges se prononçant sur la base d’expertises médicales et du droit applicable.
 
Q. Quelles sont les implications de l’appel des co-procureurs ?

Le 14 septembre 2012, les co-procureurs ont interjeté appel de la décision de la Chambre de première instance. Ils font valoir que celle-ci est compétente pour assortir la mise en liberté de Ieng Thirith de conditions ayant un effet contraignant. Ils demandent à la Chambre de la Cour suprême de modifier la décision de la Chambre de première instance à l’effet d’y inclure certaines conditions imposables à l’accusée.
 
Les co-procureurs proposent que la mise en liberté de Ieng Thirith soit assortie de six conditions, à savoir que l’accusée 1) réside à l’adresse qu’elle aura communiquée précisément, 2) soit disponible pour une vérification hebdomadaire par les autorités ou responsables compétents, 3) remette son passeport et sa carte d’identité aux autorités, 4) s’abstienne de communiquer avec les autres co-accusés (à l’exception de son époux Ieng Sary), 5) s’abstienne d’entrer en contact avec tout témoin ou expert appelé à comparaître devant la Chambre de première instance, et 6) subisse un examen médical tous les six mois.
 
Q. Quelle est l’étape suivante ?

La Chambre de la Cour suprême va statuer sur l’appel des co-procureurs dans les trois mois suivant le dépôt de la déclaration d’appel.