Centre de Sécurité de Kraing Ta Chan

Posted 12 février 2015 / Mis à jour 16 janvier 2017
Democratic Kampuchea Zone
Democratic Kampuchea District
Democratic Kampuchea Sector
Current Day District
Current Day Province
Alleged Crimes

[Avertissement: Le contenu dans les ordonnances de clôture sont des allégations, qui doivent être prouvées par des débats contradictoires. En tant que tel, les allégations ci-dessous ne peuvent pas être traitées comme des faits, sauf si elles ont été établies comme telles par un jugement définitif.]

Extraits de l’ordonnance de clôture du Dossier 002:

Emplacement et création
489. Le Centre de sécurité de Kraing Ta Chan était situé dans le sous-district de Kus, district de Tram Kok, province de Takeo. Selon le système d’identification des frontières administratives du Parti communiste du Kampuchéa, il se situait dans le District 105, secteur 13 de la Zone Sud-Ouest. Ancien chef du Sous-district de Kus (et ancien chef de Kraing Ta Chan), [CAVIARDÉ] se rappelle que le centre était à l’origine un lieu de réunion du PCK. En milieu d’année 1973, il a été converti en centre de détention par le comité de secteur, sous le contrôle du comité du District 105. Il a fonctionné tant qu’a duré le régime du Kampuchéa démocratique. Il existe certaines divergences dans les témoignages sur la disposition exacte du site. Toutefois, ils s'accordent généralement sur le fait qu'une fois que le district en eut pris le contrôle, le centre est devenu une enceinte clôturée comprenant plusieurs bâtiments de bois servant à l’incarcération des prisonniers, au logement des cadres, aux interrogatoires et aux repas.

Fonctionnement 

Organisation et personne

490. Les témoins, ainsi que les archives du District 105, démontrent que la chaîne de commandement mise en place par le Parti communiste du Kampuchéa à l’échelle du pays était à l’œuvre dans le Secteur 13 avant même avril 1975. Les sous-districts relevaient du Comité de district, lequel dépendait du comité de secteur, qui relevait de la zone. Si le niveau supérieur donnait un ordre, généralement le niveau du dessous devait obeir. Si le cadre de niveau inferieur agissait en opposition aux ordres du supérieur ou n’avait pas obtenu l’accord hiérarchique avant d’agir, il était arrété et tué. Cependant, il apparait que dans certains cas spécifiques, un niveau hiérarchique pouvait être circonvenu. Par exemple, si le secteur envoyait une convocation directe au sous-district, celui-ci pouvait répondre sans avoir à passer par le disctrict. Les ordres descendaient dans les rangs depuis les autorités centrales jusqu’au sous-district, par divers moyens.  

491. Les réunions étaient la méthode la plus courante pour donner des ordres et recevoir des rapports, dans la mesure où le papier était rare. Un des témoins, qui était basé dans le bâtiment du Commerce de la Zone Sud-Ouest, à Phnom Penh, se souvient avoir vu de nombreux dirigeants de la Zone Sud-Ouest, notamment le secrétaire de la zone, Ta Mok, et le secrétaire du Secteur 13, Ta Soam, venir assister aux réunions de l’Angkar à Phnom Penh. Une fois tous les trois à six mois, la zone rencontrait le comité du secteur. Le secteur rencontrait ensuite le district et le sous-district pour transmettre le plan de travail et donner les instructions sur la manière de contrôler et éduquer les personnes sous leur autorité. La situation, à la fois interne et externe, du pays était aussi discutée. L’ancien chef des jeunes du district, [CAVIARDÉ], se souvient être allé à ces réunions lors desquelles le secrétaire de secteur Ta Saom lisait à voix haute des documents contenant des instructions de 870 (un code qu’[CAVIARDÉ] comprenait comme faisant référence au bureau du Centre), y compris les magazines Jeunesse révolutionnaire et l’Etendard révolutionnaire. Selon lui, ces réunions avaient lieu deux à trois fois par mois, sans compter les circonstances spéciales quand 870 envoyait une circulaire demandant à tout le monde de se réunir au bureau du secteur. Le secteur invitait les chefs des districts à ces réunions, qui à leur tour pouvait disséminer les instructions à leurs unités. 

492. Ancien secrétaire du District 105, [CAVIARDÉ] se souvient d’avoir participé à une réunion du comité de secteur au cours de laquelle Ta Soam fit un rapport à Ta Mok sur des questions liées au Centre de Kraing Ta Chan. À la fin de la réunion, Ta Mok et Ta Soam ont débattu du sort d’un groupe de 60 personnes, vivant dans le District de Tram Kok, qui avaient été mises en cause dans certains aveux. Ta Mok avait ordonné au secrétaire de district de suivre et examiner ces personnes. [CAVIARDÉ], se souvient également être allé à  plusieurs réunions d’anniversaire du parti, presidées par Ta Mok. Ces réunions se tenaient d’abord dans des lieux secrets, et ont été ensuite déplacées vers les sièges des secteurs. Aux réunions, participaient des hauts membres de la zone pour discuter politique et revolution. Ta Mok enseignait comment reconnaitre les agents de la CIA et du KGB et leurs activités. [CAVIARDÉ] en retirait que ces ennemies devaient être identifiés et écrasés. [CAVIARDÉ] se souvient également participer à une réunion au niveau du secteur présidée par Ta Soam. Il déclare que, en relation avec la politique, Ta Soam a demandé à ceux présents d’observer s’il y avait des ennemies qui se cachaient à l’intérieur. Il leur a ordonné de rapporter de tels cas à leur échelon supérieur, et a dit que de telles observations ne pourraient être traitées que part les coopératives. 

 

493. Le chef de Kraing Ta Chan faisait habituellement son rapport et envoyait les aveux recueillis au comité de district qui, à son tour, envoyait ces documents au responsable du secteur. Cependant, s’ils concernaient uniquement le secteur, le chef envoyait directement son rapport au comité de secteur. À chaque fin de mois, le secrétaire de district envoyait au secteur un rapport écrit sur les activités du district. [CAVIARDÉ] se rappelle, ainsi que le montrent les archives de juillet à novembre 1977 du District 105, que le chef de Kraing Ta Chan établissait également un rapport mensuel pour le district.  Ce rapport intégrait le nombre total d’admissions de prisonniers, le nombre de décès dues aux maladies et exécutions, la population totale, les dépenses financières et la production alimentaire. 

494. La composition précise de chaque comité a évolué au fil des années, en fonction des mutations, des arrestations ou des décès. Il semble cependant que les personnes suivantes aient occupé le poste de secrétaire du District 105 à différentes époques : [CAVIARDÉ], [CAVIARDÉ], [CAVIARDÉ], [CAVIARDÉ] et Kit. Ta Soam et Prak ont occupé le poste de secrétaire du Secteur 13. Le secrétaire de la Zone Sud-Ouest était Ta Mok. 

495. Certains témoins, notamment [CAVIARDÉ], désignent [CAVIARDÉ] comme le premier chef de Kraing Ta Chan. [CAVIARDÉ] nie pourtant avoir jamais formellement occupé ce poste et déclare qu’il n’a fait qu’aider le centre en sa qualité de chef du sous-district de Kus. Quoi qu’il en soit, en avril 1975, [CAVIARDÉ] a été muté et son adjoint, [CAVIARDÉ], a pris son poste de chef, à la tête de 12 soldats qui travaillaient sous ses ordres. [CAVIARDÉ] a occupé le poste de chef jusqu’en septembre 1978, au moins. Il semble que [CAVIARDÉ], et plus tard [CAVIARDÉ], étaient sous les ordres directs de [CAVIARDÉ], membre du comité de district et probablement en charge de la sécurité du district2146. 

496. Certains cadres de haut rang semblent avoir visité Kraing Ta Chan. Ainsi, des témoins suggèrent que Ta Mok a inspecté les prisonniers en plusieurs occasions, même si [CAVIARDÉ] (ancien chef de la jeunesse du district 105), [CAVIARDÉ] et [CAVIARDÉ] contestent cette information ou ont oublié, Cependant, aucun de ces trois témoins n’était présent au centre pendant l’intégralité de la période concernée. Un témoin pense avoir vu Nuon Chea à Kraing Ta Chan, bavardant avec [CAVIARDÉ]. Ce dernier nie que cet événement ait jamais eu lieu. Enfin, certains témoins déclarent que les chefs de district, notamment [CAVIARDÉ], Kit et [CAVIARDÉ], visitaient régulièrement Kraing Ta Chan. 

 
Arrestations et détentions 

497. Les témoignages de [CAVIARDÉ] et [CAVIARDÉ], ainsi que divers documents d’archive du District 105, révèlent comment se déroulaient les arrestations, les incarcérations, les exécutions et les libérations dans le Secteur 13. Dans un premier temps, le sous-district faisait état de ses inquiétudes au sujet des divers suspects (civils ou cadres du PCK) auprès du district : par exemple, dans un rapport au Sous-district de Nheng Nhang au district, est détaillée la biographie d'un « ennemi » et apparaît la liste des diverses infractions alléguées à son endroit ; une réponse en bas du document, de la main du secrétaire du district, indique qu’il doit être arrêté. Une fois arrêté, les personnes étaient envoyées au district. Le district consultait alors le secrétaire de district avant d’envoyer les personnes concernées à Kraing Ta Chan, avec un rapport : ainsi, un rapport du Sous-district de Trapeang Thom Tboung adressé au chef de Kraing Ta Chan détaille les infractions de trois personnes que le Parti a décidé d’arrêter et d’envoyer au Centre Kraing Ta Chan. On envoyait en même temps un rapport au comité de secteur. Ces rapports étaient la base des interrogatoires des détenus. Plus tard, le chef du centre envoyait les aveux des prisonniers au secrétaire du district, qui les transmettait au comité de secteur. Le secrétaire de secteur indiquait alors au comité de district les noms de ceux qui devaient être exécutés ou relâchés. Les noms de ces personnes étaient envoyés à Kraing Ta Chan pour exécution des ordres. Il semble donc que ce soit au niveau du secteur que le sort des détenus incarcérés à Kraing Ta Chan se décidait, sur la base presque exclusive des aveux et autres informations produites par le bureau du district. Le district, pour sa part, s’appuyait sur les informations que lui fournissait le sous-district, notamment les allégations faites par la milice du sous-district et les dénonciations qui venaient de la population. 
 
 498. Un habitant du District de Tram Kok se rappelle qu’avant l’arrivée dans la région des habitants évacués de Phnom Penh, les chefs de district et de sous-district avaient participé à une réunion où on les avait prévenus que les évacués feraient l’objet de purges. Toute personne ayant atteint le grade de caporal-chef ou plus sous le régime de Lon Nol et tout ancien fonctionnaire de ce régime qui avait occupé un poste de premier chef adjoint ou un poste supérieur allait faire l’objet d’une purge. Ceci est confirmé par trois témoins, notamment l’ancien chef de la jeunesse du district, qui se souvient qu’à l’arrivée à Tram Kok des personnes appartenant au « peuple nouveau », on leur demanda d’écrire leur biographie. Il a aussi déclaré que tous ceux qui avaient admis avoir servi dans l’armée disparurent par la suite. Un témoin déclare être arrivé à Tram Kok en avril 1975 et avoir reçu l’ordre d’écrire sa biographie. On lui avait précisément demandé de dire la vérité sur son appartenance à l'armée ou au gouvernement. Un membre du comité du Sous-district de Tram Kok se souvient que le secrétaire du sous-district avait reçu l’ordre de rassembler les évacués qui avaient au moins le rang de sous-lieutenant. Une fois rassemblés, l’échelon supérieur avait envoyé un camion pour les ramasser. Ces personnes ont disparu à tout jamais. Les listes de prisonniers de Kraing Ta Chan, ainsi que l’augmentation du nombre de détenus après avril 1975, suggèrent qu’un grand nombre de ceux qui disparurent furent envoyés à Kraing Ta Chan. Plusieurs rapports du sous-district au district, en 1977, révèlent que les purges des anciens soldats de Lon Nol et des anciens fonctionnaires se poursuivirent après 1975.
 
499. Nombre de ceux qui furent envoyés à Kraing Ta Chan avaient été arrêtés par la milice du sous-district. Un ancien garde se souvient que la milice du sous-district amenait les personnes au centre de jour comme de nuit, parfois en groupe pouvant aller jusqu’à dix personnes attachées ensemble. Un autre garde déclare avoir vu des prisonniers arriver attachés ensemble, mains et avant-bras entravés2163. Ceux qui escortaient les prisonniers n’étaient pas autorisés à entrer dans l’enceinte du centre. 
 
500. Hommes, femmes, enfants étaient détenus à Kraing Ta Chan, y compris des familles entières2165. Huit témoins sont d’anciens détenus. Ils se souviennent que la plupart des prisonniers appartenaient au peuple nouveau et venaient de Phnom Penh. Cependant, la population du centre était également composée de personnes issues du peuple de base, d’anciens soldats de Lon Nol, de cadres du PCK, de Chinois, de Vietnamiens et de Chams. Concernant les Chams, des témoins qui vivaient dans le District de Tram Kok ont dit que les Chams étaient traités comme les autres2169. D’autre part, les Vietnamiens vivant dans cette région ont d’abord été renvoyés vers le Vietnam mais ceux qui sont restés ont ensuite été arrêtés et exécutés, probablement à Kraing Ta Chan. La capacité de la prison et le nombre de prisonniers incarcérés entre avril 1975 et janvier 1979 restent indéterminés. Cependant, certaines estimations sont possibles à partir de différentes sources. Un rapport du centre au comité de district pour le mois de juillet 1977 fait état de 18 nouveaux prisonniers arrivés durant ce mois, portant les effectifs à un total de 81 détenus. Parmi ces détenus, deux sont décédés de maladie et 39 furent exécutés, laissant l’effectif total de la population carcérale à 40. Un rapport similaire pour le mois de novembre 1977 fait état d’une population carcérale de 85 personnes au total. Un autre rapport d’[CAVIARDÉ] au comité de district indique qu’à la date (inconnue) du rapport, 15 000 détenus avaient été exécutés.

 

 501. Les déclarations des témoins suggèrent que les prisonniers étaient répartis en deux catégories : les auteurs d’infractions mineures et les auteurs d’infractions graves. Un ancien garde déclare cependant que de telles distinctions n’existaient pas. Tous étaient entravés jour et nuit sauf quand ils étaient envoyés travailler. Quand les prisonniers voulaient faire leurs besoins, on leur donnait une noix de coco, qui passait de personne en personne jusqu’au bout de la rangée. Si quelqu’un renversait les excréments, il était battu avec une baguette de bambou. Chaque bâtiment de détention abritait deux rangées de personnes, soit approximativement 20 à 25 personnes par rangée. Hommes, femmes et enfants étaient tous détenus dans la même pièce, dans différentes rangées. Tout enfant de plus de 10 ans était entravé. Les petits enfants étaient installés sur le ventre de leur mère. Les prisonniers n’étaient pas autorisés à se mouvoir librement.
 
502. Chaque jour, dans chaque bâtiment, se produisaient de un à trois décès de prisonnier. Les causes de la mort allaient de la famine aux mauvais traitements en passant par la maladie et la vermine. Un ancien garde atteste que le centre ne possédait aucune installation médicale et qu’on laissait simplement mourir les prisonniers malades. Plusieurs documents du District 105 rapportent le décès de prisonniers pour cause de maladie. 
 
503. Certains prisonniers expliquent avoir été forcés de travailler à différentes tâches dans l’enceinte de la prison. Ceux qui travaillaient recevaient plus de nourriture que ceux qui restaient entravés dans les bâtiments de détention. Ceux qui travaillaient dans les rizières n’étaient pas entravés mais sous surveillance. Certains de ceux qui travaillaient à l’extérieur rentraient le soir pour être entravés dans les principaux bâtiments de détention. 
 
504. Deux témoins se souviennent que des cadres ont violé des détenues. Un ancien détenu déclare qu’il y avait un garde qui souvent violait et tuait les prisonnières. Le garde lui demandait de s’occuper des corps. Il est arrivé à ce témoin de trouver les victimes nues, avec des munitions insérées dans leurs organes génitaux. Un ancien garde nie qu’il y ait eu des  viols à Kraing Ta Chan, déclarant que, si cela avait été le cas, la victime ainsi que l’auteur du viol auraient été exécutés pour conduite immorale2191. L’ancien chef de la jeunesse du district déclare qu’il avait reçu l’ordre, de la zone ou du secteur, d’enquêter sur le viol présumé d’une femme par un cadre du PCK sur le site.
 
505. Six des témoins sont d’anciens détenus libérés de Kraing Ta Chan durant ses années de fonctionnement. L’un déclare qu’après 29 jours de détention, il a été personnellement libéré par Ta Mok. Deux anciens gardes de la prison déclarent qu’il y eut très peu de personnes libérées. 

506. Sept des anciens détenus indiquent avoir été interrogés à Kraing Ta Chan. Certains le furent dans les heures qui suivirent leur arrivée sur le site. Les interrogatoires étaient menés tous les jours. Les prisonniers étaient accusés d’être des « ennemis » et on leur demandait de donner l’identité de leurs chefs. Un ancien détenu se souvient qu’on lui avait demandé d’où il venait, s’il appartenait à la CIA américaine ou vietnamienne et quel était son rang sous le régime de Lon Nol. Un autre fut accusé d’avoir une sexualité immorale. D’autres se rappellent qu’on les questionna sur la raison du manque de nourriture dans les coopératives ou sur des choses toutes simples telles que les disputes qui naissaient quand on conduisait les charrettes. À certains moments, il semble que l’on ait interrogé les détenus sur leurs liens avec Prum San, leader du Front à l’époque du maquis. Durant les interrogatoires, les aveux des prisonniers étaient manuscrits avant d’être dactylographiés. 

507. Les détenus étaient parfois gravement maltraités durant les interrogatoires. Le Parti communiste du Kampuchéa utilisait des termes tels que « chaud » ou « froid » pour décrire les différentes méthodes employées pour interroger un prisonnier. Le terme « chaud » faisait référence aux méthodes des coups et autres mauvais traitements physiques, tandis que le terme « froid » impliquait l’emploi de la supplication, la tromperie, des ruses et des efforts de persuasion. C’est au niveau du secteur et du district que ces techniques étaient enseignées aux cadres. Certains documents du District 105 démontrent l’utilisation de ce langage au niveau du sous-district dans les rapports au Parti au sujet des personnes qui avaient été interrogées. Ainsi, Kit, dans une lettre à [CAVIARDÉ] au sujet des prisonniers récemment arrivés, lui ordonne de les « interroger durement et minutieusement… ». 

508. Deux des anciens détenus interrogés à Kraing Ta Chan déclarent qu’ils furent gravement maltraités durant leur interrogatoire. D’autres indiquent au contraire qu’ils n’ont jamais été battus. Les témoins (anciens prisonniers et gardes) font état de méthodes variées durant les interrogatoires, notamment l’utilisation de sacs en plastique pour étouffer, les coups de fouet ou de bâton, l’usage de tenailles pour tirer le nez et les lobes d’oreille, l’arrosage avec de l’acide, la torture par l’eau, la pendaison par les pieds ou autour du cou. Deux témoins se rappellent avoir vu des prisonniers mourir des blessures infligées durant l’interrogatoire. En outre, un autre ancien détenu déclare qu’il devait débarrasser les corps de ceux qui étaient décédés suite aux blessures infligées durant les interrogatoires, au manque de nourriture ou à la maladie. 

509. Un ancien détenu affirme avoir été interrogé pendant trois jours à son arrivée. Il déclare : « Pendant l’interrogatoire, on nous avait demandé qui était le chef de file de la trahison ; quand nous répondions que nous ne savions pas, on utilisait une souche de rotin pour nous frapper la cuisse, la colonne vertébrale au niveau des épaules et nos bras attachés en arrière avec une colonne de tronc d’arbuste. Quand nous répondions que nous ne savions pas, on utilisait une toile en caoutchouc pour nous envelopper la tête, les oreilles et la figure, pour [nous] asphyxie[r jusqu’]à l’évanouissement avant de l’enlever et [de nous] demander de nouveau [qui était] le chef de file. Puis on [nous] accusait [en disant] : « s'il n'y avait pas de chef, c'est toi même […] le chef ». Ensuite on [nous] disait que dans trois jours on [nous] interroge[r]ait de nouveau ». Un certain nombre d’anciens détenus et de cadres se rappellent avoir entendu des cris en provenance de la salle d’interrogatoire.

 

Disparitions et exécutions 

510. Les ordres d’exécution étaient envoyés par le secrétaire de secteur au secrétaire de district qui informait alors le chef du centre. Les ordres étaient manuscrits sur les aveux dactylographiés envoyés par Kraing Ta Chan au secrétaire de district. 

511. Certains témoins disent que les prisonniers étaient emmenés pendant la nuit dans des camions, et dans les faits disparaissaient. Les gardes leurs disaient qu’ils retournaient dans les coopératives. Leur sort était caché aux autres par des haut-parleurs qui jouaient pour couvrir leurs cris. Un ancien prisonnier s’est vu préciser qu’il ne pouvait pas parler de ces exécutions aux autres prisonniers. 

512. Une grande partie des témoins entendus par les enquêteurs se souviennent d’avoir assisté aux exécutions ou d’avoir vu les corps des victimes. Les exécutions avaient lieu en différents endroits, dans l’enceinte du centre et à l’extérieur, y compris dans les bâtiments de détention, dans les salles d’interrogatoire et près de tombes qu’on avait fait creuser quelques instants auparavant. Un des témoins se souvient qu’il y avait tant de cadavres enterrés autour de la prison qu’il lui arrivait de découvrir des corps quand il creusait le sol pour y planter des cocotiers. 

513. Trois témoins ont fait des dépositions détaillées sur les exécutions auxquelles ils avaient assisté. Les prisonniers étaient aveuglés par un bandeau sur les yeux avant d’être frappés sur la nuque avec une arme contondante telle qu’un essieu de charrette ou une pioche. Quand ils tombaient en avant, on les décapitait avec une épée. On exécutait les jeunes enfants en leur cognant la tête contre un tronc d’arbre. 

514. Les corps des victimes étaient enterrés dans l’enceinte du centre et tout autour. Soit on faisait creuser leur propre tombe à ceux qui allaient être exécutés, soit d’autres prisonniers recevaient l’ordre de les creuser. A une certaine époque, un prisonnier fut forcé de creuser une ou deux fosses par jour, chacune de trois mètres de long et d’un mètre et demi de profondeur. Chaque fosse pouvait contenir de 30 à 60 corps. Un témoin, ancien chef de sous-district, a participé en 1979 à l’exhumation des fosses dans la région. Il déclare que huit charniers furent exhumés, d’où l’on retira 10 045 crânes. Il se rappelle que de nombreux autres charniers n’ont pas été exhumés. Un autre temoin dit qu’environ 17 000 crânes ont été comptés. Un rapport envoyé au district par le chef de Kraing Ta Chan indiquait qu’à cette date (inconnue) 15 000 ennemis avaient été liquidés, ce qui montre que le nombre total de personnes exécutées au centre fut bien plus élevé que le nombre de crânes retrouvés.