Le Site de Travail du Barrage de Trapeang Thma

Posted 02 décembre 2015 / Mis à jour 16 janvier 2017
Democratic Kampuchea Zone
Democratic Kampuchea District
Democratic Kampuchea Sector
Current Day District
Current Day Province
Alleged Crimes

Emplacement et création

323. Le site du Barrage de Trapeang Thma était situé dans les villages de Trapeang Thma Kandal et de Paoy Char, Sous-district de Paoy Char, district de Phnom Srok, dans l’actuelle province de Banteay Meanchey (anciennement dans la province de Battambang). Selon le système d’identification des frontières administratives du PCK, Trapeang Thma était situé dans le Secteur 5 de la Zone Nord-Ouest. La partie principale du barrage était située à environ 50 kilomètres au nord-est de la ville de Sisophon.

324. La date précise du début de la construction du Barrage n’est pas connue. Les témoignages varient, certains la plaçant au début de l’année 1976, d’autres fin 1976 - début 1977, tandis que d’autres témoins déclarent que le barrage a été entièrement construit en 1977. En tous cas, presque tous les témoignages confirment que le barrage était terminé dès la fin de l’année 1977, ou en mai 1978 au plus tard. Il fut officiellement décrit par le PCK en octobre 1977 comme le résultat d’un effort national des travailleurs pour répondre au plan économique de 1977 du Parti, en accord avec une politique selon laquelle les travailleurs avaient « tout sacrifié pour produire un maximum de riz ».

325. Une cérémonie d’inauguration s’est déroulée au barrage en décembre 1977, à laquelle divers cadres supérieurs du Parti ont participé. Elle était, présidée par Pol Pot, qu’accompagnait une délégation chinoise, comme en fit état la presse de Pékin. Heng Rin, alias Mei, alias Neou Rin, secrétaire de secteur, et Cheal, du comité de secteur, sont les autres cadres du comité du Secteur 5 ayant participé à cette cérémonie.

326. À la fin des travaux, le barrage mesurait environ 10 mètres de large au sommet, 18 mètres de large à la base et de 3 à 5 mètres de hauteur. L’eau ainsi retenue s’étendait sur environ 10 km de long et 7 km de large.

Fonctionnement

Organisation et personnel

327. La construction du barrage fut organisée et administrée par les cadres du Parti qui divisèrent la main d’œuvre en unités qu’ils dirigeaient, décidant des tâches individuelles et des plans de travail, nommant les chefs d’unité et relevant les biographies de ceux qui travaillaient sur le site1348. La structure hiérarchique comportait des chefs d’unité, des chefs de compagnie et des chefs de peloton.

328. Les chefs d’unité devaient régulièrement rendre compte des progrès de la construction afin de recevoir les ordres de leurs supérieurs et de définir le plan de travail des jours suivants. Val, Pheng, Thoang et Hang étaient responsables du développement des plans de travail. Les rapports étaient envoyés à l’« Angkar 870 » pour faire état des progrès, comme le montre l’un d’eux, envoyé en copie à « Oncle (sic), Oncle Nuon, frère Van, frère Vorn, Bureau, Documentation », qui fait le compte rendu d’une visite de journalistes yougoslaves au barrage.

329. La responsabilité globale de la construction de Trapeang Thma relevait de Val alias Aok Haun, cadre du Parti du Secteur 5 de la Zone Nord-Ouest, qui se rendait fréquemment au site de travail pour vérifier les progrès. Val était le chef de l’unité mobile de travail du secteur 51357 et, comme le déclare un témoin, c’est lui qui « a élaboré le plan pour recruter les mains d’œuvre pour la construction de la digue ». 

330. Il était aidé dans ses tâches de supervision par Hat, du comité du District de Phnom Srok1359, avec qui il communiquait et correspondait. Val fut arrêté et transféré à S-21 en juin 19771360, de même que Hat, en septembre 1977 : tous deux ont été accusés de traîtrise, avant la fin de la construction du barrage.

331. Men Chun alias Hoeng1362 était le secrétaire du Secteur 5 de la Zone Nord-Ouest. Il fut arrêté en septembre 1977 et remplacé par Heng Rin, alias Mei, alias Noeov Rin, jusqu’à son arrestation le 16 novembre 19781364, qui fut suivie de son exécution le 15 décembre 1978.

332. Parmi les autres responsables supervisant la construction du barrage, il y avait Muol Sambat, alias Ta Nhim, alias Ruos Nheum, alias Moul Un, secrétaire du comité de la Zone NordOuest, qui s’est rendu plusieurs fois en visite sur le site avant la fin de la construction et Cheal, un membre du comité du Secteur 5, tous furent arrêtés en 1978 et 1977.

333. Les dirigeants du PCK se sont rendus plusieurs fois sur le site. Ainsi, il apparaît que Pol Pot et Khieu Samphan ont visité Trapeang Thma à différents moments durant la construction. Un témoin fait référence à la visite de Ieng Sary à Trapeang Thma, avec Pol Pot. Le témoin n’a cependant eu connaissance de cela que par ouï-dire et n’a pas vu personnellement la personne mise en examen sur le site de travail.

Conditions de vie et de travail

334. Des milliers de personnes ont été forcées à participer à la construction de Trapeang Thma. Un ancien travailleur estime ce nombre à approximativement 15 000, tandis qu’un autre parle de « toute la région [Secteur] 5, plus la population des coopératives ». D’autres témoins mentionnent des « milliers » ou des « dizaines de milliers » de travailleurs ayant participé à la construction du barrage. La presse chinoise, dans une dépêche sur la visite d’une délégation chinoise, évoque 20 000 travailleurs, de même qu’un télégramme du PCK rapportant la visite de journalistes yougoslaves au barrage.

335. Les travailleurs de Trapeang Thma venaient des villages des districts du Secteur 5 de la Zone Nord-Ouest, notamment du District de Thma Puok, du District de Phnom Srok, du District de Serei Saophan et du District de Preah Net. On trouvait également parmi les travailleurs des gens du peuple nouveau qui avaient été évacués de Phnom Penh et de Siem Reap. 

336. Des hommes, des femmes et des enfants1381 travaillaient au barrage, organisés en unités de travail. Les unités etaient composées de 10 personnes environ, provenant de pelotons, compagnies et bataillons plus grands qui comprenaient respectivement 30, 100 et 300 personnes. Les « unités mobiles » étaient formées de « personnes d’âge moyen ». Certaines étaient mixtes ; dans d’autres, les travailleurs étaient regroupés par sexe mais il n’y avait pas de différence dans les tâches qu’on leur attribuait. Les travailleurs des unités mobiles devaient construire le barrage, creuser les canaux, construire les systèmes d’irrigation, faire pousser le riz et le repiquer. Les « unités d’enfants », regroupaient des adolescents de 13 à 17 ans. Les enfants des unités d’enfants étaient séparés de leur famille et obligés à vivre avec leurs compagnons d’unité. Il y avait par ailleurs des « unités de cas spéciaux » où ceux qu’on considérait comme tire-au-flanc ou souffrant d’une « maladie idéologique » étaient placés en observation et en rééducation. L’unité des « cas spéciaux » se voyait attribuer les plus gros quotas et ceux dont on pensait qu’ils ne pouvaient pas être rééduqués par l’unité disparaissaient à tout jamais

337. Le barrage a été presque entièrement construit à la main, avec des quotas de 1 à 3,5 m3 de terre à creuser par personne chaque jour. Il semble qu’on ait utilisé certaines machines mais seulement pour des tâches secondaires, des tracteurs par exemple, pour niveler le sol.

338. Bien que cela ait varié entre les différentes unités, les horaires de travail de Trapeang Thma allaient de 7 heures à 11 heures et de 13 heures à 17 heures environ. Certains témoins parlent également d’horaires de nuit, de 19 h à 22 h ou plus, surtout si les quotas n’étaient pas atteints. Certaines unités commençaient à travailler plus tôt le matin, à l’aurore selon un témoin. Aucun repos ni aucune pause n’était autorisé avant que la tâche prévue ne soit terminée. Ceux qui achevaient leur quota se voyaient ensuite attribuer des quotas supplémentaires. Même si certains témoins déclarent qu’il n’y avait pas de punition infligée à ceux qui n’atteignaient pas leurs quotas, il paraît établi que les travailleurs étaient punis physiquement ou par la réduction de leur ration alimentaire. D’autres travailleurs qui n’avaient pas atteint leurs quotas étaient envoyés en rééducation ou dans l’unité des « cas spéciaux »

339. Les travailleurs n’avaient pas le droit de s’arrêter pour se reposer pendant les heures de travail. La plupart des témoins déclarent qu’il leur était interdit de parler entre eux. On leur accordait de courtes pauses pour boire ou aller aux toilettes, mais les surveillants et les espions sur le site prenaient note des travailleurs « paresseux » et les signalaient, aussi personne n’osait demander de faire une pause. On accordait des jours de congés uniquement quand les parents des enfants étaient malades. 

340. Les travailleurs devaient habiter près du site, dans de grandes salles communes qui abritaient parfois jusqu’à 600 personnes. On ne leur donnait pas de natte, ni de couverture, d’oreiller ou de hamac pour dormir ; ils devaient se les fabriquer eux-mêmes à partir de sacs de riz et ils devaient souvent dormir à même le sol. Les hommes et femmes célibataires devaient vivre séparément.

341. Bien qu’un petit nombre de témoins déclarent qu’il y avait assez à manger, la nourriture était généralement insuffisante. Selon certains témoins « il fallait boire de l’eau pour compléter » ou « [cueillir] les feuilles des arbres pour manger ». À l’occasion, ils recevaient du poisson ou de la viande séchée, mais, même quand on leur donnait ces aliments, cela ne suffisait pas. L’eau qu’on donnait aux travailleurs venait des proches étangs boueux. Personne n’osait se plaindre des rations alimentaires par peur d’être tué. Les travailleurs du barrage mouraient de faim et d’épuisement, sur place, parfois en plein travail alors même qu’ils transportaient de la terre.

342. Il y avait un total manque d’hygiène. L’eau boueuse amenée des étangs n’était pas bouillie. Les conditions d’hygiène épouvantables entraînaient des maladies chez nombre de travailleurs : dysenterie, cholera, paludisme, etc. Les rations alimentaires des malades étaient réduites. Le personnel médical n’était pas formé : les médecins n’avaient aucune connaissance et on les choisissait sur le tas. Ils arpentaient le site pour donner à tous les malades le même remède à base de plantes, assimilées à des crottes de lapin. Des enfants étaient recrutés pour être envoyés au service des Affaires Sociales pendant deux semaines et ils revenaient à Trapeang Thma en qualité de personnel médical dans leur unité respective. Dans ces conditions, nombreux sont ceux qui moururent de maladie, parfois par familles entières.

343. Les travailleurs du peuple nouveau étaient soumis à des conditions de travail plus dures, notamment des quotas de travail plus importants ou des punitions injustifiées. Les soldats et les cadres du Parti notaient les biographies des travailleurs sur le site pour identifier ceux qu’ils allaient ensuite arrêter et exécuter.

344. Certains témoins disent avoir assisté ou participé à des cérémonies de mariage à Trapeang Thma, où souvent des dizaines de couples étaient unis lors de cérémonies de masse. Un témoin déclare que les couples étaient forcés de s’unir, d’autres mariages devaient être approuvés par le chef de l’unité et les travailleurs qui ne respectaient pas cette règle étaient exécutés. 

345. La grande majorité des témoignages, a deux exceptions prés, demontrent qu’il n’y avait aucune éducation des enfants.

Sécurité

346. Certains travailleurs, notamment du peuple nouveau1, étaient arrêtés par les cadres du Parti pour être « rééduqués en réunion » et disparaissaient ensuite à tout jamais. Des informateurs étaient intégrés aux unités pour s’enquérir des biographies et du passé des travailleurs et identifier les individus à arrêter, même parmi ceux qui atteignaient les quotas. On les accusait d’être « des gens de la CIA des Américains » ou d’être liés aux « Yuons ». Ces travailleurs étaient escortés, attachés, par des soldats ou des miliciens jusqu’à leur lieu d’exécution.

347. Les travailleurs qui n’atteignaient pas les quotas étaient considérés comme souffrant de problèmes idéologiques et étiquetés comme traîtres et transférés à l’unité des « cas spéciaux » où les quotas étaient plus importants (entre 3 et 3,5 métres cube de terre). Tout travailleur qui n’atteignait pas ces quotas était emmené de nuit et exécuté.

348. Aucun témoin ne parle de centre de sécurité proche du site de travail. Les témoins attestent cependant de ce que les personnes étaient emmenées pour être exécutées de nuit par groupe de deux ou trois, jusqu’à 15 à 20 personnes d’un coup. Aucune des personnes arrêtées n’est jamais revenue. Un témoin déclare que ces disparitions étaient la conséquence directe de « l’ordre de l’échelon supérieur ». Les chefs d’unité devaient être informés avant que les arrestations ne soient menées.

349. Nombre de personnes furent battues à mort et jetées dans le bassin de retenue d’eau. Dans certains cas, on leur faisait creuser leur propre tombe avant de les frapper à mort. Des témoins rapportent qu’on battait les femmes enceintes à mort avant de les jeter dans le bassin, parce que l’encadrement du Parti déclarait que « [p]our que le pont soit solide, il fallait tuer les femmes enceintes et enterrer au pied de ce pont ». Le « pont 1 », ou « vanne 1 », était un emplacement habituel pour les exécutions. Les corps étaient alors jetés au fond.