Site de Travail du Barrage du 1er Janvier

Posted 12 juin 2015 / Mis à jour 16 janvier 2017
Democratic Kampuchea Zone
Democratic Kampuchea District
Democratic Kampuchea Sector
Current Day District
Current Day Province
Alleged Crimes

Site de travail du Barrage du 1  Janvier 

Emplacement et création 

351. Le Site de travail du Barrage du 1er Janvier a été créé pour construire un système d’irrigation . Le barrage lui-même, construit pour former un réservoir de retenue sur la rivière Stoeung Chinit, couvrait certaines zones des Districts de Baray et Santuk de l’actuelle province de Kampong Thom1458, qui, selon le système d’identification des frontières administratives du PCK, se situaient dans les Secteurs 42 et 43 de la Zone Nord  renommée ensuite Zone Centrale très probablement durant la construction du barrage 

352. Un ensemble de canaux fut creusé pour faire venir l’eau jusqu’aux rizières. Le canal principal faisait 20 mètres de large et menait à des canaux plus petits de deux ou trois mètres de largeur . Le barrage était relié par le canal principal à un second barrage connu sous le nom de « Barrage du 6 Janvier » . La construction du barrage commença à la fin de l’année 1976 ou au début de 1977  et s’acheva au moment où commençait la construction du Barrage du 6 Janvier, début 1978 . 

Fonctionnement 

Organisation et personnel 

353. La construction du barrage était de la responsabilité du comité de la Zone Centrale (ancienne Zone Nord), dont le secrétaire était Ke Pork,  également membre du Comité central du PCK . La communication entre la zone et le Centre passait donc par Ke Pork. Duch déclare que Ke Pork se rendait à Phnom Penh pour participer à la réunion annuelle des dirigeants de  zones ou sur convocation de Pol Pot . Par ailleurs, un certain nombre de témoins établissent l’importance de la communication par télégrammes . 

354. Le plan d’ensemble du barrage fut transmis par Ke Pork  au Bureau des travaux publics de la zone, dirigé à l’origine par Săo  avec l’assistance de techniciens, notamment, [CAVIARDÉ] et Pech Sokha . [CAVIARDÉ] aussi bien que Pech Sokha avaient précédemment étudié l’irrigation et l’hydroélectricité à l’école Russei Keo de Phnom Penh . [CAVIARDÉ]  devint chef du Bureau des travaux publics de la zone à la suite de la disparition de Săo . [CAVIARDÉ] a déclaré qu’il rendait compte à Ke Pork, ou à ses forces quand elles venaient inspecter le site . Certains témoins ont observé que ces visites se produisaient régulièrement . Oeun, cadre supérieur très impliqué dans la construction, finit par être nommé secrétaire du secteur 42 , là où se trouvait le site. 

355. La construction du barrage et sa supervision ont impliqué tous les niveaux de la hiérarchie du Parti. Chaque niveau s’est vu affecté des responsabilités spécifiques et a occupé une place dans la chaîne officielle de commandement, depuis les chefs d’unité et les cadres du sous¬district, du district, du secteur, jusqu’aux cadres de la zone . Une à deux fois par an se tenait une réunion de zone, présidée par Ke Pork et à laquelle participaient les membres des comités de sous-district, de district et de secteur ; les résultats y étaient présentés . 

356. La composition des comités de secteur, de district et autres, de la Zone Centrale (ancienne Zone Nord), a évolué au fil du temps au gré des arrestations et disparitions de leurs membres durant la construction du barrage . Les secrétaires des Secteurs 41, 42 et 43 et certains des cadres qui les ont remplacés  ont disparu. Certains furent envoyés à S-21 . Les comités des trois Secteurs – 41, 42 et 43 – étaient chargés de rassembler la main d’œuvre dans tous les districts pour participer à la construction du barrage . Les secteurs communiquaient avec les districts grâce aux réunions et aux rapports . Il en était de même pour les districts et les sous-districts, à qui ils distribuaient les tâches et donnaient les ordres sur la mise en œuvre des plans . La main d’œuvre était divisée en unités agissant sous l’autorité d’un chef , désigné par les cadres des sous-districts et les chefs de village . Les réunions étaient l’occasion de vérifier si les quotas étaient atteints ou non, si les ordres étaient suivis ou non, et les participants devaient avouer leurs fautes . L’« échelon inférieur » devait informer l’« échelon supérieur » sur des questions telles que le manque de nourriture ou de médicaments , sur la construction et la sécurité . Un ancien chef de village a expliqué que, lorsque le travail n'était pas fait selon le plan, les membres de « l'échelon inférieur » étaient qualifiés de traitres et tués, parfois sur le rapport de leurs chefs de groupe . Il ressort d'autres témoignages que les chefs d'unités ou d'équipes étaient impliqués dans le processus de décision conduisant au transfert de travailleurs et à la prise d'autres types de sanctions à leur encontre.  Certains membres de la milice locale ont été vus transportant des bâtons, des houes, des armes à feu ou des couteaux  et étaient connus comme des exécuteurs . Certains témoins précisent que le personnel de sécurité et certains cadres locaux  venaient de la Zone Sud-Ouest . 

357. POL Pot s’est rendu sur le site du barrage au moins une fois, pour son inauguration , avec des visiteurs étrangers . Ieng Sary  et Khieu Samphan , ainsi que Ta Mok  et Son Sen , ont également été vus sur le site. Nuon Chea s’est egalement rendu sur le site ou « [i]l a dit à la population de s'efforcer de travailler afin de stocker de l'eau en faveur de la riziculture » . Ieng Thirith s’est rendu en visite au barrage accompagnée d’une délégation laotienne, en avril 1977. Selon un témoin, à cette occasion, on donna suffisament de nourriture et des vêtements décents à ceux qui devaient accueillir Ieng Thirith et cette dernière fut informée de la pénurie de médicaments dans le cadre de sa visite d’un hopital. . 

Conditions de travail et de vie 

358. Selon la plupart des anciens travailleurs  et des anciens cadres locaux , des dizaines de milliers de personnes ont participé à la construction du barrage . Elles provenaient en général des districts des environs  et des Secteurs 41, 42 et 43 . Les travailleurs étaient principalement des hommes et des femmes jeunes ou d’âge moyen . Certains appartenaient au peuple nouveau  (certains avaient été évacués de Phnom Penh) , d’autres étaient des Chams  ou, selon au moins un témoin, des vietnamiens et des chinois . 

359. Personne ne pouvait parler  ni se déplacer librement . Les travailleurs étaient appelés à se rassembler par sifflet ou haut-parleurs , ils travaillaient selon des horaires définis sans repos ou avec des pauses strictement contrôlées . La plupart des équipes devaient travailler de nuit . Il y avait des quotas prédéterminés de volume de terre à creuser et à transporter par jour et ceux qui n’atteignaient pas le quota étaient punis . Les témoins racontent que le quota quotidien variait de un à trois mètres cubes de terre . Un ancien chef de village précise qu’il mentait parfois à l’échelon supérieur et déclarait que son équipe avait atteint son quota . La majeure partie du gros œuvre a été faite à la main, mais on utiliait également des machines . Dans la plupart des cas, la nourriture manquait . Hommes et femmes vivaient séparément  dans des cabanes ou des abris basiques . Aucune moustiquaire, couverture ou tapis n’était fourni et la plupart des travailleurs dormaient à même le sol . 

360. Les travailleurs étaient traités différemment selon leur unité, ou encore s’ils appartenaient au peuple nouveau ou étaient Chams . Les Chams et les bouddhistes n’étaient pas autorisés à pratiquer leur religion . Les horaires de travail, les quotas, la discipline variaient d’une équipe à l’autre  Si deux témoins affirment qu’il y avait suffisamment de nourriture , un autre déclare que le peuple nouveau recevait moins de nourriture que les autres . D’autres témoins indiquent que le peuple de base et les cadres du Parti étaient mieux vêtus  et mieux logés . Certains postes, tels ceux de cuisinier, chef d’équipe ou chargé des communications, n’étaient pas accessibles au peuple nouveau, aux Chams ou aux Sino-khmer . Tout cela, ajouté aux mauvaises conditions d’hygiène , fit que de nombreuses personnes tombèrent malades, atteintes de divers maux . Les soins médicaux n’étaient pas adéquats, la plupart des hôpitaux étaient loin, le personnel médical n’était pas correctement formé et pas toujours en résidence sur le site. Les médicaments étaient insuffisants et inefficaces , on utilisait la médecine traditionnelle, telle que Ach Tunsay, des cachets qui ressemblaient à des déjections de lapin ou des médicaments liquides . 

361. Les chefs de village  ou « Angkar »  arrangeaient les mariages des travailleurs  ou des cadres, comme par exemple [CAVIARDÉ] en 1976 . Des témoins rapportent avoir été mariés avec beaucoup d’autres couples lors d’une cérémonie  et un ancien chef de village déclare « J'avais l'habitude d'organiser des mariages pour eux, parfois de 30 à 40 couples à la fois » . La plupart des témoins rapportent que personne n’était libre de choisir son époux et que personne n’osait refuser les mariages arrangés ni protester de peur d’être envoyé en rééducation . Si un ancien cadre explique que « [l]orsqu'une des parties n'était pas d'accord, on ne les mariait pas », elle ajoute « Certains couples ne s'entendaient pas bien après le mariage. Cependant, ils (les hommes comme les femmes) n'osaient pas s'exprimer » . 

362. Le site du barrage était surveillé de près. Les superviseurs allaient et venaient pour vérifier que les quotas étaient atteints et que le travail se déroulait suivant le plan. La construction était supervisée à tous les niveaux, par les chefs d’unité, de groupe, de sous-district, de district  et parfois même par les cadres de secteur ou de zone . Il y avait également du personnel de sécurité pour surveiller  le site et certains témoins rapportent que des espions infiltraient leurs équipes . Toute « faute » ou « mauvaise conduite » devait être examinée lors des réunions de critique / autocritique qui se tenaient le soir, et pouvait être sanctionnée. La rééducation s’appliquait également aux personnes qui ne suivaient pas les instructions . Certaines personnes furent battues ou sérieusement maltraitées . Tout le monde, travailleurs et cadres, vivait dans la peur incessante d’être arrêté et renvoyé pour exécution . 

363. Certains se suicidèrent, d’autres moururent de maladie , de faim et/ou d’épuisement . D’autres furent tués dans des accidents tels que les effondrements de pierres ou de terre . Un témoin affirme cependant que, dans son unité au moins, personne ne mourut de faim ni de surmenage . 

Sécurité 

364. Le Secrétaire de zone, Ke Pork se vit déléguer l’autorité de prendre des décisions en matière d’exécution dans sa zone, et semble avoir exercé cette autorité de manière arbitraire , du moins en ce qui concerne les personnes ordinaires car, pour les purges et la liquidation des cadres et membres du Parti, il lui fallait semble-t-il consulter les autorités supérieures du Parti . Deux témoins rapportent que des mesures étaient prises contre ceux qui commettaient des fautes d’immoralité (sans qu’ils soient nécessairement exécutés) . 

365. On savait qu’on serait arrêté si l’on faisait mal quelque chose ou si on ne suivait pas les ordres , en volant des pommes de terre par exemple , en ne remplissant pas les quotas au travail, en étant malade, « paresseux » ou en se plaignant . 

366. La plupart des témoins connaissent des personnes qui ont disparu du site du barrage, ou ont entendu parler des disparitions . La plupart des disparitions avaient lieu la nuit . Les travailleurs étaient appelés « en réunion » ou pour étudier , ou on les attachait  et les emmenait en camion ou en char à bœufs et ils disparaissaient . Les raisons des disparitions n’étaient pas toujours connues  et n’étaient pas demandées par peur de s’exposer.  Des haut-parleurs étaient en action durant les exécutions, pour tenter de couvrir les cris des victimes et d’ainsi dissimuler le sort des personnes disparues.  Un grand nombre de ceux qui disparurent étaient perçus comme ayant des liens avec l’ancien régime de la République Khmère , étaient vietnamiens ou étaient accusés « d’avoir des tendances vietnamiennes » , appartenaient au peuple nouveau  ou étaient Chams . Le peuple de base vit certains de ses membres disparaître également . 

367. Certains témoins ont assisté aux arrestations , d’autres ont entendu parler des personnes exécutées ou envoyées dans des camps de sécurité . Un témoin a vu une personne être exécutée . La proche pagode Wat Baray Choan Dek  était connue comme le lieu où l’on amenait les personnes pour les exécuter , mais on exécutait également dans d’autres endroits .