Centre de Sécurité de Au Kanseng

Posted 04 août 2015 / Mis à jour 16 janvier 2017
Democratic Kampuchea Zone
Democratic Kampuchea District
Democratic Kampuchea Sector
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Current Day Province
Alleged Crimes

[Avertissement: Le contenu dans les ordonnances de clôture sont des allégations, qui doivent être prouvées par des débats contradictoires. En tant que tel, les allégations ci-dessous ne peuvent pas être traitées comme des faits, sauf si elles ont été établies comme telles par un jugement définitif.]

Extraits de l’ordonnance de clôture du Dossier 002:

Emplacement et création

589. Le centre de sécurité désigné sous le nom de « Bureau de rééducation et de correction d’Au Kanseng » - aussi appelé Centre de securité de Au Kanseng, Ecole 801 de rééducation, ou prison militaire 801 - fut créé entre la fin de l’année 1976 et le début de l’année 1977 au sein de la Division militaire 801 de l’Armée révolutionnaire du Kampuchéa (« ARK »). Il fut en service jusqu’à l’arrivée des forces vietnamiennes. Il était situé dans le village de Phum 6 - et non Phum 3 comme il est parfois indiqué par erreur - Sous-district de Labansiek, District de Banlung, province de Rattanakiri - à proximité du ruisseau d’Au Kanseng, non loin de l’actuel hôpital provincial de la province de Rattanakiri. Selon le système d’identification des frontières administratives du Parti communiste du Kampuchéa, il se trouvait dans le Secteur 102 de la Zone Nord-Est.

590. La Division 801 du Centre est issue des Divisions 11 et 14, deux des trois divisions de la Zone militaire spéciale, qui, par l’intermédiaire de Son Sen le chef de l’Etat-major général des forces armées du Parti communiste du Kampuchéa, relevaient du Comité militaire du Comité central du Parti communiste du Kampuchéa. Le Commandant de la Division 801 était Sau Saroeun , son adjoint San alias 06, remplacé en 1976 par Kev Saroeun. Fin 1975, la Division 801 fut transférée dans la province du Rattanakiri, Zone Nord-Est. La politique de la Division 801 était arrêtée par le Centre au cours de réunions de l’Etat-major général auxquelles participait Sau Saroeun qui faisait rapport à Son Sen. Sau Saroeun échangeait des télégrammes du quartier général de la Division 801 avec l’Etat-major général à Phnom Penh et en retour Son Sen donnait des instructions à la Division 801.

591. La création d’Au Kanseng coïncida ou fit suite à l’arrestation et l’exécution de Men San alias Ya qui entra à S-21 le 20 septembre 1976. Ce fait est corroboré par une communication entre Son Sen et la Division 801. Le 30 août 1976, Saroeun participa à une réunion des divisions du Centre et des régiments indépendants, convoquée par Son Sen, à laquelle ce dernier donna ordre, parce qu’« il fa[llait] continuer à purger les mauvais éléments », de les concentrer en un seul endroit aux fins de leur rééducation, notamment. À un autre de ces rassemblements, le 19 septembre 1976, Son Sen insista sur l’importance de la menace venant des « des activités des ennemis à l'intérieur du pays et dans nos rangs », et de déclarer qu’« iI fa[llai]t avoir une position ferme et absolue. N'hésitez pas à épurer les éléments opposant à la révolution ». Le 23 septembre 1976, Son Sen adressa un « avis valant instruction pour la 801 » à Saroeun, lui ordonnant de prendre des mesures contre les ennemis présumés qui tentent « de se mettre à couvert et d’infiltrer notre armée et notre base ». Le 25 novembre 1976, Saroeun répondit à Son Sen que « Quant à ceux qui ont été dénoncés par les ennemis, on doit examiner les documents et demander à ce qu'on les arrête, pour l'instant » alors que « ceux qui se déplacent de façon indisciplinée ou qui transgressent la discipline, et qui, après la rééducation, s'ils ne se corrigent pas, on doit prendre des mesures à leur encontre en les mettant à côté pour faire les suivre à la trace ». Il ajouta que « nous attendons les recommandations du Parti ».

592. Le camp se composait d’une cour non clôturée dont les côtés mesuraient environ deux cents mètres de long. Il était divisé en plusieurs bâtiments, parmi lesquels figuraient quatre à cinq maisons destinées à accueillir les détenus. Parmi celles-ci, deux étaient réservées aux auteurs d’infractions graves. Au Kanseng servit également de site d’exécution : à l’intérieur du complexe de sécurité, à quelque cent-cinquante mètres de la prison, se trouvaient dix fosses. Cependant, la plupart des cadavres étaient enterrés dans des cratères de B52, situés à l’extérieur du camp.

Fonctionnement

Organisation et personnel

593. Des cadres du quartier général de la Division 801, situé à Veun Sai, furent affectés à Au Kanseng. [CAVIARDÉ] fut nommé directeur du centre par Ta Saroeun, le Commandant de la Division 801. [CAVIARDÉ] en était le directeur-adjoint, chargé des interrogatoires et des archives des prisonniers. [CAVIARDÉ] était responsable de l’unité de sécurité et de la surveillance. S’y ajoutaient un certain nombre d’autres agents de sécurité et de gardiens.

594. Au Kanseng était subordonné à l’unité militaire 806, qui était sous la tutelle de la Division 801. Cette dernière était responsable du transport, de la logistique, des entrepôts ainsi que du complexe d’Au Kanseng. L’Unité militaire 806 avait pour chef Ta Smien, pour chef- adjoint [CAVIARDÉ], [CAVIARDÉ] étant chargé de la logistique. À la fin de l’année 1978, Ta Smien fut arrêté et envoyé à Phnom Penh. Il fut remplacé par [CAVIARDÉ].

595. Les dirigeants d’Au Kanseng avaient des réunions de travail avec Sau Saroeun tous les trois ou quatre mois, sauf cas de nécessité. Une assemblée de zone était, en outre, organisée chaque année. Les communications de travail entre les dirigeants d’Au Kanseng et ceux de la Division 801 venaient de [CAVIARDÉ], qui les transmettaient au chef de l’Unité 806, bien que, sur quelques questions importantes, elles aient été soumises directement à la division. En sa qualité de secrétaire d’un bataillon, Smien participa, aux côtés d’un groupe de 31 cadres de la Division 801, à la première session d’études de l’Etat-major général qui fut convoquée le 20 octobre 1976.

596. En retour, les instructions suivaient le même cheminement, hormis au cours de la dernière année de fonctionnement d’Au Kanseng, lorsque son directeur reçut l’ordre de Son (le cadre dirigeant de la Division 801 qui, désormais, en était le numéro trois) de ne plus passer par l’Unité 806 mais, en lieu et place, de rendre compte directement et exclusivement à la division.

597. Sau Saroeun se rendait rarement à Au Kanseng, contrairement à [CAVIARDÉ], le chef de l’Unité militaire 806, auquel le responsable d’Au Kanseng remettait des rapports à l’intention de la division. Rien n’indique que les personnes mises en examen aient visité Au Kanseng.

Arrestations

598. Les dirigeants d’Au Kanseng n’était pas habilités à procéder à des arrestations, ni à libérer les prisonniers. Ils étaient seulement autorisés à les accueillir, à étudier les rapports qui leur étaient adressés et à surveiller les activités des prisonniers en détention.

599. Les dates d’entrée et de sortie des détenus étaient consignées par écrit et des notes étaient prises sur ceux qui entraient et sortaient. Entre la fin de l’année 1976 et le début de l’année 1977, le centre comptait entre dix et quarante prisonniers (tous des soldats qui avaient été envoyés d’unités rattachés à la Division 801). En 1978, le nombre de prisonniers passa à plus d’une centaine. Un témoin affirme qu’il y avait entre quatre cents et six cents détenus. À la fin de l’année 1978, la population carcérale d’Au Kanseng se composait à la fois de soldats, d’habitants des coopératives, d’ouvriers des plantations d’hévéas et de civils du Secteur 101. 

600. Les prisonniers militaires appartenaient aux Régiments 81, 82 et 83, qui étaient rattachés à la Division 801. Ils avaient été arrêtés par leurs régiments sur ordre de Sau Saroeun. Les soldats de la Division 801 qui avaient été arrêtés étaient considérés comme des éléments indisciplinés, soit qu’ils aient enfreint la discipline militaire ou tenu des propos critiques à l’égard du Parti, soit qu’ils aient été compromis dans les aveux recueillis à Phnom Penh. Les aveux étaient d’abord adressés à Sau Saroeun, qui transmettait les informations aux unités militaires afin qu’elles procèdent aux arrestations des intéressés et les conduisent à Au Kanseng. Les prisonniers arrivaient au centre en même temps que les aveux les concernant.

601. Le 15 juin 1977, le secrétaire de la Zone Nord-Est, Vy, envoya un télégramme aux « frères respectés », avec copie à l’intention de Nuon Chea, Ieng Sary et Son Sen notamment, pour les informer que « Les taupes de la plantation d'hévéa - de cotonniers et des unités itinérantes qui ont été sacquées de l'armée en 74, ont choisi le camarade [CAVIARDÉ] (cadre de la Division 801), pour qu'il trouve les moyens d'opérer secrètement ». En conséquence de quoi, les ouvriers de l’association de travailleurs des plantations d’hévéas furent arrêtés et envoyés à Au Kanseng sur ordre de [CAVIARDÉ], le responsable des plantations d’hévéas de la Zone Nord-Est, également membre du comité de zone. Les ouvriers furent arrêtés pour divers motifs, parmi lesquels figuraient le fait de faire preuve d’une conduite immorale dans leur existence quotidienne, celui de prendre la parole pour défendre sa femme enceinte qui avait été arrêtée, celui de critiquer le Parti ou encore parce qu’ils étaient accusés d’employer le « savoir-faire propre à la classe féodale, mais non pas à la classe paysanne ». Et Vy, le secrétaire de la Zone Nord-Est, d’ajouter, dans son télégramme du 15 juin 1977, que « dès que nous aurons obtenu des réponses de tous les intéressés et que nous les aurons clairement enregistrées sur magnétophone, une décision au plus haut niveau sera sollicitée pour chacun d’entre-eux ».

602. Les prisonniers venant des coopératives furent envoyés par leur chef, accompagnés de rapports sur les fautes qui leur étaient imputées. La plupart avaient été arrêtés pour des infractions mineures comme le vol de nourriture.

603. D’anciens détenus d’Au Kanseng précisent, par ailleurs, qu’entre cent et deux-cent cinquante2617 personnes appartenant à la minorité Jaraï ont été arrêtées.

604. Les prisonniers étaient souvent transportés en camion à la prison2618. Tous les prisonniers n’étaient pas menottés au moment de leur arrestation, mais c’est sous la menace d’un pistolet qu’ils étaient conduits en file indienne jusqu’à leur cellule2620. L’arrestation des ouvriers syndiqués se faisait par groupe.

Détention

605. Certains prisonniers étaient enchaînés, soit individuellement, soit collectivement, par rangée de cinq à dix individus, à une seule chaîne en acier. Les civils, les femmes et les enfants n’étaient pas menottés, ni enchaînés. Hommes et femmes étaient détenus séparément. Dans la journée, la plupart des prisonniers étaient conduits à l’extérieur du centre pour travailler et, la nuit, ils étaient enfermés à clé dans leurs cellules, avec des soldats qui montaient la garde derrière la porte. Certains étaient enchaînés et ne quittaient jamais leur cellule. Les prisonniers travaillaient sous la surveillance des gardiens. Ils s’acquittaient d’une multitude de tâches diverses : ils arrachaient les mauvaises herbes, travaillaient dans les rizières, cultivaient des légumes, construisaient des barrages et des digues, par exemple. Les prisonniers étaient régulièrement conduits à des réunions de rééducation qui étaient dirigées par le directeur, qui avait auparavant rencontré Ta Saroeun, le chef de la division.

606. Les conditions de vie étaient très dures, en particulier pour ceux qui étaient menottés ou enchaînés. Seuls les prisonniers qui n’étaient pas menottés étaient autorisés à se baigner dans un ruisseau situé à proximité de la prison, sous la surveillance des soldats.

607. Selon le directeur-adjoint d’Au Kanseng, les prisonniers qui n’étaient pas enchaînés avaient assez à manger. Toutefois, la plupart des témoins, hormis l’un d’eux (qui travaillait dans les cuisines), affirment que la nourriture était insuffisante. Un détenu fut témoin d’un cas de cannibalisme.

608. La santé des prisonniers se détériorait au fil de la détention. Certains témoins affirment qu’il n’y avait pas de médicaments alors que d’autres prétendent que, dans certains cas, un médecin, répondant au nom de [CAVIARDÉ], administrait des médicaments aux malades. Dans un cas, un prisonnier fut envoyé ramasser des feuilles qui devaient être bouillies avec du son de riz, pour servir de médicament à un prisonnier malade. De nombreux prisonniers moururent des suites de maladie ou de malnutrition.

609. Sau Saroeun donna pour instruction de transférer, de Au Kanseng au Bureau de rééducation 809, tout prisonnier qui passait pour avoir commis une infraction mineure ou dont la rééducation s’était avérée efficace. Le Bureau de rééducation 809, qui était situé à Phnom  Kach Changkeh près de Au Tang, rendait compte quotidiennement de ses activités à la Division 801.

Interrogatoires

610. Il y avait, à l’intérieur du périmètre de la prison, un bâtiment distinct pour les interrogatoires. Ceux-ci étaient menés par [CAVIARDÉ], le directeur adjoint du centre. La plupart des prisonniers ne subissaient pas d’interrogatoire dès leur arrivée en prison ; on les laissait dans leur cellule pour permettre à l’équipe du centre de prendre connaissance de leur dossier et des faits qui leur étaient reprochés ou on les convoquait pour qu’ils exposent leur biographie et on les interrogeait sur les motifs de leur arrestation.

611. [CAVIARDÉ], le Directeur-adjoint, affirme que, personnellement, il « [n’a] jamais infligé de torture a un prisonnier quelconque, mais [que] les agents de l’unité de sécurité ont pu torturer les prisonniers». Quant à [CAVIARDÉ], il soutient que « parfois, il y avait des actes de torture. mais ils n’ont pas été perpétrés de façon systématique sur tous les prisonniers ». [CAVIARDÉ] rapporte que certains, qui étaient soupçonnés d’avoir menti, étaient frappés avec un fouet et soumis à des chocs électriques. Selon certains anciens détenus, il n’y pas eu de cas majeurs de mauvais traitements graves au cours des interrogatoires. D’autres témoins affirment toutefois avoir vu de leurs propres yeux des prisonniers auxquels étaient infligés de graves sévices au cours des interrogatoires. Pour la majorité d’entre-eux, les mauvais traitements graves allaient de la famine à la charge de travail qu’on leur imposait, en passant par la restriction de leur liberté de mouvement.

612. [CAVIARDÉ] établissait les comptes rendus des interrogatoires et les envoyait à [CAVIARDÉ], qui, par l’intermédiaire du Commandant de l’Unité 806, transmettait à la fois les aveux et les résultats des interrogatoires supplémentaires à Sau Saroeun, à l’échelon du district, aux fins d’obtenir des instructions2656.

613. Vers le milieu de l’année 1977, un interrogateur, répondant au nom de [CAVIARDÉ], arriva de Phnom Penh pour travailler pendant deux ou trois mois à Au Kanseng. Sau Saroeun, en personne, dit à [CAVIARDÉ] que [CAVIARDÉ] appartenait à l’Etat-major général, plus précisément à l’unité 703 qui était placée sous les ordres de Pin et qu’il venait pour « travailler avec le nommé [CAVIARDÉ] [c’est à dire [CAVIARDÉ]] pour suivre à la trace le déroulement des activités des prisonniers (…) mis en cause dans les aveux de dénonciation faits à Phnom Penh ». Sau Saroeun en personne avait dit à [CAVIARDÉ] que quelqu’un allait venir de Phnom Penh pour travailler à Au Kanseng. [CAVIARDÉ] arriva avec une lettre de recommandation de Phnom Penh et certains aveux avec l’annotation indiquant que les prisonniers en référence devaient être interrogés sur leurs réseaux et activités. [CAVIARDÉ] raconta à [CAVIARDÉ] qu’avant de venir à Au Kanseng, il avait travaillé avec la Division 12 et qu’« il travaillait dans un centre de sécurité, dans la section d’interrogatoire, situé dans l’ancienne école de Tuol Svay Prey ». Le irecteur adjoint en déduisit que [CAVIARDÉ] venait de S-21, bien que Duch affirme ne pas avoir souvenir d’une personne de ce nom.

614. D’après [CAVIARDÉ], [CAVIARDÉ] arriva à Au Kansèng deux à trois mois environ après l’arrestation d’un groupe de cadres de la Division 801 et d’intellectuels. À partir de décembre 1976, des discussions eurent lieu entre Son Sen et Saroeun ainsi que d’autres cadres de la Division 801 à propos d’une politique de purge des cadres dirigeants de la 801 et de cadres la Zone Nord-Est. En 1977, la Division 801 fut effectivement l’objet de purges impitoyables, certains cadres des régiments et des bataillons étant arrêtés et envoyés à S- 21, des cadres de rang inférieur et des combattants ordinaires étant, pour leur part, envoyés à Au Kanseng.

615. Après l’arrivée de [CAVIARDÉ], de nombreux cadres liés à Lay Sarim furent arrêtés et amenés à Au Kanseng. [CAVIARDÉ] participa aux interrogatoires de quatre prisonniers, des officiers de haut rang de la Division 801, parmi lesquels figuraient des cadres du bataillon de l’ancienne Division 11 que Lay Sarim (qui fut envoyé à S-21 en janvier 1977) dirigait avant d’être nommé Directeur de l’hôpital 805 auprès de la Division 801. [CAVIARDÉ] organisa, de concert avec [CAVIARDÉ], les interrogatoires d’un cadre de l’échelon d’une compagnie, répondant au nom de Pheng Phây, du régiment de Lay Sarim, et de trois cadres de l’échelon d’une section, les nommés Port, Samrin et Thea. Au cours des interrogatoires, [CAVIARDÉ] se servait des aveux qui les « accusaient », qu’il avait rapportés de Phnom Penh. [CAVIARDÉ] établissait ses propres rapports qu’il amenait en personne à l’Etat-major général à Phnom Penh.

Exécutions et disparitions

616. Les responsables d’Au Kanseng n’étaient pas habilités à prendre la décision d’exécuter un prisonnier. La date à laquelle le prisonnier était emmené pour être exécuté était consignée par écrit et des rapports statistiques quotidiens étaient envoyés à la division.

617. Saroeun fit état de la capture de « Yuons » par les unités de la Division 801 à compter du mois de décembre 1976 ; Vy, le secrétaire de la Zone Nord-Est, également.

618. Un télégramme daté du 15 juin 1977, que Vy alias Um Neng, en sa qualité de secrétaire de la Zone Nord-Est, adressa au « frère bien respecté » et dont copie fut adressée à Nuon Chea et Ieng Sary notamment, annonça en ces termes l’arrestation, par la Division 801, de 209 Vietnamiens de la minorité Jaraï : « … À 9 heures du matin du 14 juin, l'unité de production 801, en poste permanent à 107, est allée patrouiller et a arrêté 209 soldats vietnamiens, dont 9 jeunes filles, aux environs de O La'ak, à 4 km au sud de la route 9. Ce sont en majorité des Jaraï, parlant mal le khmer. On les a envoyés au commandement. […] L'unité de production 801 propose une décision immédiate et définitive. J'attends votre réponse favorable ».

619. Sau Saroeun convoqua [CAVIARDÉ] et [CAVIARDÉ] à une réunion où, selon ce dernier, il leur donna ordre de « prendre des mesures contre ces Jaraï […] “Prendre des mesures” signifiait qu’il fallait les exécuter ».

620. Selon [CAVIARDÉ], « les Jaraï qui ont été arrêtés se trouvaient à la frontière avec le Vietnam, parce qu’ils avaient été mobilisés par les Vietnamiens pour entrer sur le territoire cambodgien ». [CAVIARDÉ] a précisé par ailleurs qu’ils étaient accusés d’être des soldats de Thieu-Ky et qu’on les appelait « des FULRO de souche ».

621. S’en suivit l’exécution des Jaraï. Hommes, femmes et enfants2688 furent conduits auprès de Au Kanseng, attachés en ligne et emmenés en camions par diverses forces, parmi lesquelles figuraient une unité de sécurité du secteur, des troupes du bataillon d’artillerie 803 et du personnel d’Au Kanseng, et exécutés dans trois cratères de B52, à moins d’un kilomètre de la prison.

622. À la fin de l’année 1978, toujours dans le secteur de Au Ya Dav, un groupe de six Vietnamiens, parmi lesquels une femme, furent arrêtés et, sur ordre de Sau Saroeun, emmenés par les unités qui les avaient arrêtés, pour être exécutés.

623. D’après le directeur adjoint, il n’y eut qu’un seul cas d’exécutions systématiques à Au Kanseng : celui du groupe des Jaraï. Selon les responsables du centre, si plusieurs centaines de personnes sont mortes à Au Kanseng, la plupart des ouvriers et des habitants des coopératives moururent des suites de maladie et non exécutés. Certains témoins affirment néanmoins qu’il y a eu des exécutions individuelles, principalement à la fin de l’année 1978. À titre d’exemple, Sau Saroeun aurait donné ordre directement à [CAVIARDÉ] d’exécuter les prisonniers dont on estimait qu’ils n’avaient pas changé de comportement à l’issue de leur rééducation et correction. Tout prisonnier qui s’était échappé et qui était repris était exécuté. Deux témoins racontent qu’on avait fendu à coups de hâche le dos d’une femme détenue, accusée de conduite immorale, pour en extraire la vésicule biliaire et l’exposer dans la cuisine. Ce fait est toutefois contesté par le directeur d’Au Kanseng. Certains témoins affirment qu’ils n’ont jamais vu ni entendu parler d’exécutions. Enfin, il est fait état du suicide par pendaison de trois prisonniers.