Rappel des faits
Nayan Chanda a témoigné en tant qu’expert devant la Chambre de première instance dans le dossier n° 001. Au moment de son témoignage, il était Directeur des publications au Centre Yale d’études sur la mondialisation
1
. Dans les années 1970 et 1980, il était correspondant pour l’Indochine et éditorialiste pour la Revue économique d’Extrême Orient, qui a longuement interrogé les officiels des pays de l’Indochine, de la Chine et d’autres états
2
.
Dans les dossiers n° 001 et n° 002/02, la Chambre de première instance s’est appuyée sur son témoignage pour établir ses conclusions relatives au contenu du « Black Book » (Livre noir) du conflit armé entre les Khmers rouges et le Vietnam
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, du conflit à la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande et pour déterminer le nombre de victimes civiles dans la zone Est.
Le « Black Book » (également appelé « Black Papers »)
Nayan Chanda a décrit le Livre noir du Kampuchéa démocratique (KD) de 1978 comme « un mélange entre faits et fantasmes », et ouvertement raciste à l’égard des Vietnamiens, considérés comme agressifs et expansionnistes
4
. Dans un entretien de 1979 entre Chanda et Ieng Sary, Ieng Sary a confirmé que le Vietnam était agressif et que le Cambodge essayait de se défendre contre le Vietnam
5
.
Dans son témoignage, Chanda a expliqué qu’il existait des histoires populaires cambodgiennes dénonçant la cruauté des Vietnamiens à l’égard des Khmers : « il s’agit ici de la perception populaire des Vietnamiens »
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, ce qui, selon Chanda, ne justifiait pas les attaques des Khmers rouges contre les Vietnamiens
7
.
L’armée vietnamienne était largement supérieure à l’armée du KD et l’affirmation selon laquelle un seul Cambodgien était capable de tuer 30 Vietnamiens et que le sacrifice de seulement 2 millions de Cambodgiens suffirait à éradiquer tous les Vietnamiens : « il ne s’agi[ssait] pas d’une affirmation exacte. Cette affirmation a[vait] pour but de remonter le moral »
8
.
Dans le dossier n° 002/02, la Chambre de première instance s’est appuyée sur le témoignage de Chanda pour conclure que le Livre noir n’était qu’un instrument de propagande mélangeant faits et fantasmes
9
.
Le conflit entre le Vietnam et le Cambodge
Selon Chanda, les Khmers rouges étaient préoccupés par l’ambition du Vietnam d’établir une relation spéciale avec les pays de l’Indochine, qu’ils considéraient comme « une tentative dissimulée du Vietnam de prendre le pouvoir au Cambodge et de prendre le territoire cambodgien »
10
.
Lors de son témoignage, il a fait état « [d’] escarmouches le long de la frontière [entre le Vietnam et le Cambodge] et en fait le Vietnam avait aussi commencé une phase de bombardements à l’intérieur du territoire cambodgien, bombardements aériens », « ceux-ci n’ont pas fait [...] l’objet de dépêches ni de communiqués dans les médias »
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. Le Cambodge s’est battu pour éviter d’être « avalé » par le Vietnam, alors que le Vietnam se battait contre la domination de l’alliée du Cambodge, la Chine
12
.
En 1973, « une fois que les pourparlers de paix de Paris ont touché à leur fin, il y a eu des bombardements américains [...]», le Cambodge a subi lourdement ces bombardements américains. Les Khmers rouges tenaient le Vietnam pour responsable de ces attaques car le pays aurait signé un accord de paix séparé avec les États-Unis
13
.
Entre 1975 et 1976, plus de 150 000 réfugiés Cambodgiens d’origine vietnamienne et chinoise ont envahi les provinces vietnamiennes
14
. Le HCR est venu en aide aux réfugiés dans le sud du Vietnam
15
.
En 1977, le conflit entre le Vietnam et le Cambodge s’est intensifié à la suite de deux attaques majeures : le 30 avril et le 24 septembre
16
. Le 24 septembre, la radio de Phnom Penh radio dénonçait ouvertement pour la toute première fois le Vietnam et annonçait la fin des relations
17
. La première attaque militaire vietnamienne clandestine contre le Kampuchéa démocratique est survenue un peu plus tard en octobre
18
.
Jusqu’à fin 1977, personne ne savait grand chose du conflit entre le Vietnam et le Cambodge
19
;
les informations provenaient des renseignements américains
20
.
Fin 1977, les Khmers rouges ont publiquement dénoncé les relations avec le Vietnam
21
, et le Vietnam a lancé une attaque massive sur le Cambodge depuis une demi-douzaine de points le long de la frontière, avec deux axes principaux en direction de la capitale
22
. Le Vietnam a maintenu sa présence au Cambodge en y installant une zone tampon de 15 à 20 miles (25 à 30 kilomètres) à l’intérieur du territoire
23
. Selon Chanda, l’offensive vietnamienne majeure est survenue à la suite des attaques des Khmers rouges ; elle n’a pas été lancée avant
24
.
Les attaques vietnamiennes à l’intérieur du territoire cambodgien ont eu lieu le long de la frontière sud-ouest avec le Vietnam
25
. Toutefois, selon Chanda, ces attaques représentaient plus une démonstration de force, avec un défilé de chars d’assaut plutôt qu’une destruction réelle des endroits qu’ils traversaient
26
. Par contre, les attaques des Khmers rouges le long de la frontière vietnamienne étaient des attaques surprises qui ont causé la mort de nombreux civils
27
.
Au milieu de l’année 1978, il y a eu des heurts réguliers le long de la frontière, l’armée de l’air vietnamienne s’est mise à bombarder le Cambodge
28
. Les Khmers rouges ont attaqué le Vietnam les 20 et 21 décembre 1978, précipitant l’invasion vietnamienne du Cambodge du 23 décembre 1978
29
.
Dans les dossiers n° 001 et n° 002/02, la Chambre de première instance s’est appuyée sur le témoignage de Chanda soulignant les siècles de conflit entre le Vietnam et le Cambodge et concluant que les hostilités dissimulées entre les deux pays ont atteint leur point culminant lors de l’offensive vietnamienne et de la chute de Phnom Penh le 7 janvier 1979
30
. Dans le dossier n° 001, la Chambre de première instance s’est appuyée sur son témoignage pour établir que lors de l’année 1977, « le KD a augmenté la fréquence de ses raids sur le territoire vietnamien » ce qui a entraîné une riposte de la part du Vietnam
31
. Le 6 janvier 1978, le Cambodge a interprété le repli des Vietnamiens comme une victoire et a commencé à diffuser des confessions de prisonniers de guerre vietnamiens obtenus au centre de sécurité S-21
32
.
Incidents à la frontière avec la Thaïlande
Le conflit à la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande au nord-ouest
33
était purement d’ordre territorial
34
.
La Chambre de première instance a constaté, dans le dossier n° 001, qu’il y avait des escarmouches à la frontière avec la Thaïlande, même « si, par rapport au conflit entre le Vietnam et le Cambodge, elles furent d’une bien moindre importance »
35
.
Victimes civiles
Les civils vivant le long de la frontière de la zone Est ont été victimes de purges car ils étaient considérés comme des sympathisants du régime vietnamien ou des collaborateurs
36
. Les Khmers rouges ont attaqué la commune de Tin Bienh au Vietnam, laissant derrière eux près de 100 civils morts
37
. Chanda a également raconté le massacre du village de Ha Tien, dans la province de Tay Ninh, à la frontière avec le Cambodge :
« [l]e village dans lequel je me suis rendu [semblait] avoir été dévasté par un ouragan … les maisons étaient détruites, des débris jonchaient un peu partout et les gens qui essayaient de reconstruire leurs habitation sur les mêmes lieux… De toute ma carrière de reporter je n’ai jamais vu autant de cadavres de civils tués de la manière la plus brutale et laissés [...] sur place
38
. ».
S’appuyant sur le témoignage de Chanda, la Chambre de première instance a conclu, dans le dossier n° 001, que certains Cambodgiens de la zone Est ont été exécutés par le régime du KD sous prétexte qu’ils étaient des « sympathisants du régime vietnamien »
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.
Date | Procès-verbal d’audience | Numéro de transcription |
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25 mai 2009 | E1/24 | E1/24.1 |
26 mai 2009 | E1/25 | E1/25.1 |
Titre du document en khmer | Titre du document en anglais | Titre du document en français | Numéro de document D | Document numéro E3 |
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