Kasumi Nakagawa a entamé ses études universitaires au Japon en 1991 et a obtenu son diplôme en 1995.
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Consacrées à Pol Pot - alias Frère numéro 1 -, ses études ont porté sur la manière dont il est parvenu à accéder au pouvoir, selon la perspective des sciences politiques et des relations internationales.
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Elle a entamé son master à l’université d’Osaka en 1996 et l’a achevé en 2000.
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Elle a mené à bien trois projets de recherche : « I want to tell you-Stories of Sexual Violence during the Democratic Kampuchea » (Je veux vous raconter - Récits de violences sexuelles sous le Kampuchés démocratique) ; « Gender-Based Violence during the Khmer Rouge - Stories of Survivors from the Democratic Kampuchea » (Violence de genre sous les Khmers rouges - Récits de survivants du Kampuchéa démocratique) ; et « Motherhood at War » (La maternité en guerre).
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Elle a ensuite témoigné comme experte devant les Chambres extraordinaires des tribunaux du Cambodge.
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Kasumi Nakagawa a comparu devant la Chambre de première instance dans le dossier n°002/02 en tant que témoin experte du mariage forcé et de sa consommation, des punitions infligées aux Khmers rouges à ceux qui refusaient de consommer et de l’impact des mariages forcés et de leur consommation sur leurs victimes, ainsi que des « mariages autorisés » sous le régime khmer rouge.
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Mariage forcé
Kasumi Nakagawa a décrit le « mariage forcé » comme la situation où une personne ne voulait pas se marier mais était forcée de le faire ou en recevait l’ordre par les Khmers rouges.
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Fin 1977 et en 1978, les Khmers rouges ont organisé des mariages de masse pour des couples forcés à se marier après les en avoir informés 24 heures avant leur mariage.
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Des mariages forcés avaient lieu à tous les âges et pour tous les statuts sociaux.
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Les gens ignoraient à l’avance qui serait leur futur époux ou future épouse.
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Lorsqu’ils étaient amenés à l’endroit où le mariage avait lieu, les Khmers rouges ordonnaient aux femmes de s’asseoir sur un rang et les hommes sur un autre en face d’elles.
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Normalement, la personne qu’une femme épousait était face à elle, car Angkar avait déjà sélectionné les couples.
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La cérémonie de mariage était très courte, et durait une heure maximum.
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Chaque couple devait jurer solennellement qu’ils se mariaient volontairement pour Angkar.
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S’il y avait 100 couples, un représentant prêtait serment.
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Les parents assistaient rarement aux cérémonies, et il était également rare que les rituels habituels avaient lieu.
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Il s’agissait davantage d’une réunion.
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Bien que les hommes et les femmes pussent refuser de se marier, ils n’osaient pas le faire car ils savaient - en particulier en 1977-1978 - que refuser pouvait leur coûter la vie.
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Kasumi Nakagawa a identifié deux types de menaces.
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La première était que les Khmers rouges disaient explicitement que la personne ou un membre de sa famille serait tué si cette personne refusait de se marier.
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La deuxième était que les gens étaient déjà terrifiés et vivaient dans une peur extrême d’être tués s’ils s’opposaient aux Khmers rouges.
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Il y avait une pression silencieuse durant la période des Khmers rouges, qui signifiait que les gens ne pouvaient refuser le mariage.
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Au moment de confirmer que des mariages forcés avaient lieu dans de nombreuses provinces cambodgiennes durant la période du Kampuchéa démocratique
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, Kasumi Nakagawa a conclu qu’elle ne disposait pas de suffisamment de preuves pour affirmer qu’il s’agissait d’une politique supérieure d’organisation de mariages forcés, car cet aspect n’était pas dans la portée de ses études.
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Consommation contrainte des mariages forcés
Après les cérémonies de mariage, les Khmers rouges mettaient à la disposition des jeunes mariés une petite hutte pour passer quelques nuits (jusqu’à une semaine).
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La plupart de ces couples forcés étaient surveillés la nuit par les espions « chlops », afin de garantir qu’ils consommaient leur mariage.
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Les hommes et les femmes ne voulaient pas consommer, mais devaient le faire pour leur survie.
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Kasumi Nakagawa a expliqué que les gens ne consentaient pas au mariage de leur propre gré et que la décision d’avoir des relations sexuelles ne leur appartenait dès lors pas.
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Les gens étaient terrifiés et ni les hommes ni les femmes ne consentaient donc réellement.
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Elle appelle la consommation des mariages forcés « viol légalisé », le terme « viol » décrivant l’acte de pénétration qui devait être mené à bien par le mari victime sur la femme victime afin de suivre les instructions des Khmers rouges.
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Punitions de ceux qui refusaient de consommer
Aux yeux des Khmers rouges, la consommation était un devoir et une responsabilité des couples mariés.
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Ne pas consommer le mariage entraînait des conséquences, de la punition de détention dans un centre de rééducation à la violence sexuelle contre l’épouse ou le mari (ou les deux), jusqu’à la mort.
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Il était tout simplement impossible pour tout homme ou femme de dénoncer l’abus ou le « viol » (à savoir la consommation du mariage), car les Khmers rouges ne les considéraient pas comme des crimes.
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Impact des mariages et des consommations forcés sur les victimes
Pour une femme, l’impact était énorme lorsqu’elle était forcée à se marier contre son gré sans le consentement de ses parents sur son mari.
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Être contrainte à avoir des relations sexuelles avec un homme en perdant sa virginité sans le consentement de ses parents était également une expérience traumatisante.
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C’était une terreur immense imposée à une femme qui n’avait peut-être jamais connu d’expérience sexuelle.
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Les hommes souffraient également profondément lorsqu’ils devaient se contraindre à « violer » leur femme.
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« Le fait de forcer un homme à violer quelqu'un est un acte inhumain. Tous les hommes ne peuvent pas le faire, pour commencer, mais ils ont été forcés de le faire. On ne peut pas mesurer la peur qu'il éprouvait s'il n'arrivait pas à le faire. De nombreuses femmes, apparemment, ont eu très peur, car elles ont manifesté le fait qu'elles ne voulaient pas accepter leur mari. Le mari devait accomplir dans des circonstances . C'est un acte inhumain et je comment un homme pu le faire. C'est peut-être la raison pour laquelle de nombreux hommes ont été envoyés - parce qu'ils n'ont pas pu violer leur femme. Ceci a eu un impact sur la vie maritale, la vie conjugale, car l'homme s'est peut-être senti coupable envers sa femme. Et il a peut-être été inquiet ou a craint que sa femme ne l'aime plus. Et ceci est resté une cicatrice ou un traumatisme pendant longtemps, jusqu'à ce qu'il retrouve sa masculinité et que sa femme l'accepte à nouveau. L'impact était donc énorme acte inhumain l'homme. »
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Un autre l’impact des mariages forcés était la destruction par les Khmers rouges du « filet de sécurité » inhérent aux mariages. Les hommes et les femmes perdaient la protection de leur famille car ils étaient séparés et les parents étaient privés de l’occasion d’organiser, de bénir ou d’accueillir les mariages de leurs enfants.
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Mariage autorisé
Kasumi Nakagawa a décrit le « mariage autorisé » comme celui où « Il y des femmes qui d'avoir des maris choisis soit par leurs parents, soit par les Khmers rouges, et elles consentaient à ces mariages ».
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Les couples devaient obtenir l’approbation des Khmers rouges avant leur mariage.
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Les parents des deux parties devaient consentir et ensuite obtenir la permission des Khmers rouges.
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Parfois, certaines femmes prenaient l’initiative de contacter les Khmers rouges.
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Le processus de prise de décision avait lieu au niveau des villages. Certaines autorités n’autorisaient pas un couple à se marier s’ils étaient trop jeunes.
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À la différence des civils ordinaires, les combattants khmers rouges blessés avaient davantage de privilèges concernant le mariage.
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Ils étaient généralement autorisés à choisir une épouse.
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Une fois le choix opéré, la femme devait accepter la décision sans poser de questions.
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La pratique avait lieu à l’échelle nationale.
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Si la procédure de mariage variait à de nombreux égards, les Khmers rouges avaient le droit absolu d’autoriser les unions.
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« Toute personne désireuse de se marier devait demander la permission aux Khmers rouges ».
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Constatations
La Chambre de première instance s’est appuyée sur le témoignage de Kasumi Nakagawa pour conclure qu’elle suivait une méthodologie stricte dans sa recherche et démontrait ses connaissances spécialisées à travers son témoignage ;
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que son avis était généralement bien étayé et cohérent ;
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et qu’elle avait fait preuve de prudence au moment de parvenir à ses conclusions.
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La Chambre de première instance a tenu compte de ses preuves pour conclure : i) que les personnes n’étaient pas consultées sur leur mariage durant la période du Kampuchéa démocratique ;
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ii) que les personnes recevaient généralement des instructions avant la cérémonie de mariage sur ce qu’elles devaient faire durant celle-ci ;
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iii) que les mariages collectifs étaient une pratique répandue partout au Cambodge ;
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iv) que l’organisation des mariages et leurs pratiques ont varié avec le temps et selon les lieux ;
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v) que la durée des cérémonies de mariage allait de 30 minutes à quelques heures ;
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vi) que les cadres surveillaient les jeunes mariés afin de garantir qu’il consommaient leur mariage que le seul moyen d’éviter de devoir consommer était de cacher le fait que celui-ci n’avait pas été consommé ;
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vii) qu’il n’était pas possible de véritablement consentir à consommer un mariage dans un environnement où les couples n’avaient pas consenti à conclure celui-ci d’entrée de jeu ;
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viii) que l’absence de parents et de membres de la famille lors des cérémonies de mariage affectait émotionnellement les couples ;
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ix) que la perte de virginité était proéminente dans l’esprit des femmes victimes ;
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et x) que les relations sexuelles forcées avaient des effets traumatisants graves à long terme sur les victimes.
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La Chambre de la Cour suprême a notamment cité le témoignage de Kasumi Nakagawa pour constater que : i) lorsque des relations sexuelles étaient contraintes entre des couples mariés de force, elles faisaient des victimes masculines et féminines et l’environnement de coercition n’était pas genré ;
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et que ii) les victimes masculines de la politique de consommation forcée du mariage étaient, à tout le moins, gravement impactées mentalement lorsqu’elles étaient forcées à avoir des relations sexuelles.
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