Meas Voeun, alias Svay Voeun
1
, a témoigné dans le dossier n° 002/01 pendant quatre jours
2
et dans le dossier n° 002/02 pendant deux jours
3
. Il était soldat et a témoigné, entre autres, au sujet de la hiérarchie et de la structure militaire, de l’évacuation de Phnom Penh, de la capture de ressortissants thaïs et vietnamiens en mer, et de la communication d’informations à Khieu Samphân sur les membres de sa famille et les conditions de vie à Preah Vihear. Meas Voeun, né en 1944, a rejoint la révolution en tant que représentant de la jeunesse
4
. En 1968, il a été recruté par Ta Mok en tant que garde du corps pour 30 à 40 personnes, dont Vorn Vet, Hu Nim, Hou Yuon et Khieu Samphân
5
. Ils ont vécu à plusieurs endroits dans la forêt et se sont déplacés pour éviter l’ennemi ; Ta Mok décidait de leurs mouvements
6
. En 1970, le témoin est devenu soldat
7
.
Structure militaire
L’État-major, composé de Son Sen, de Nuon Chea et de Ta Mok, contrôlait l’ensemble de l’armée
8
. Ta Mok, le commandant en chef, avait plus de pouvoir que Son Sen
9
. Il pouvait décider de se séparer des gradés ou des soldats
10
. Lors des réunions, la division recevait ses ordres de l’état-major, puis le commandant de la division faisait circuler ces informations jusqu’au plus bas de la chaîne de commandement
11
. À l’intérieur d’une zone, il y avait une armée de zone, une armée de secteur et une armée de district
12
. L’armée de la zone protégeait les frontières extérieures, tandis que l’armée de secteur protégeait le secteur, et l’armée de district chaque district
13
. L’armée de zone était divisée en différentes unités : des groupes aux divisions
14
. Les groupes étaient composés de 12 personnes ; les pelotons étaient composés de trois groupes ; les compagnies étaient constituées de trois pelotons ; les bataillons de trois compagnies ; les régiments de trois bataillons ; les brigades de trois régiments, plus un bataillon spécial ; et trois brigades formaient une division
15
. La zone Sud-Ouest était dirigée par Ta Mok, Chou Chet alias Ta Si (« Si ») étant juste en dessous dans la hiérarchie
16
. La division 1, dirigée par Soeung, était sous l’autorité de la zone Sud-Ouest avant la prise de Phnom Penh, il s’agissait de la seule division de cette zone à l’époque
17
. Ta Mok donnait ses ordres à Soeung, qui les transmettait aux régiments ou aux brigades
18
. En 1975, Soeung a promu Meas Voeun au poste de commandant du régiment 16, constitué de 300 à 400 soldats
19
.
Prise de Phnom Penh et évacuation
À peu près une semaine avant le 17 avril 1975, Soeung a informé le témoin de sa rencontre avec l’état-major au sujet des plans d’attaque de Phnom Penh. La question de l’évacuation n’y avait pas été abordée
20
. Le plan consistait à prendre le contrôle de Phnom Penh le 18 avril 1975 mais ils ont pris la ville un jour plus tôt
21
. Le témoin était à la tête d’un régiment de 600 hommes, ils ont attaqué Phnom Penh depuis Pochentong, tandis que deux autres régiments ont attaqué depuis Stueng Meanchey et Boeng Prayap
22
. L’unité du témoin est entrée dans Phnom Penh plus tard que les autres zones
23
et n’a arrêté aucun soldat
24
. Lorsqu’ils sont entrés dans la ville, il n’y avait plus aucun combat ; les appartements et les maisons avaient des drapeaux blancs accrochés, ils avaient pour ordre de ne pas faire de mal aux personnes qui agitaient un drapeau blanc
25
. Les gens restaient à leur domicile
26
. Ils étaient en manque de nourriture et de médicaments
27
. Le jour suivant, le témoin s’est retiré en direction de Stueng Meanchey
28
. Quelques jours plus tard, il a vu des personnes se faire évacuer le long des routes nationales 3 et 4
29
. Certains transportaient des bagages, d’autres poussaient des charrettes, des véhicules ou des motos à court de carburant
30
. Les gens ne voulaient pas abandonner leurs effets personnels et étaient mécontents de partir sans nourriture
31
. Les soldats leur disait que l’Angkar avait ordonné qu’ils n’emportent pas leurs affaires
32
. Le témoin n’a reçu aucun ordre au sujet de l’évacuation mais avait entendu dire qu’on demandait aux gens de quitter la ville, il ne s’y est donc pas opposé
33
. Son commandant de division disait que les gens de la ville seraient évacués pour une semaine environ et regagneraient leur domicile une fois la ville de Phnom Penh organisée et la situation revenue à la normale
34
.
Transfert à Koh Kong
Ta Mok a ordonné au témoin de retirer ses troupes de la ville de Phnom Penh
35
. Après avoir quitté Phnom Penh, ils se sont installés brièvement à quelques endroits avant d’être transférés à Koh Kong
36
. En septembre ou octobre 1975, les zones Sud-Ouest et Ouest ont été séparées
37
. Le régiment du témoin a été transféré dans la zone Ouest avant de rejoindre sa structure militaire
38
. La zone Ouest était constituée de trois secteurs : Le secteur 31 dans la province de Kampong Chhnang, le secteur 32 dans la province de Kampot et le secteur 37 dans la province de Koh Kong
39
. Après avoir été posté à Koh Kong pendant environ un an, le témoin a été promu par Soeung et par Si, secrétaire de la zone Ouest, au poste de commandant adjoint de la division 1, avec 2 700 soldats sous ses ordres
40
. Les autres soldats de la division 1 étaient postés au quartier général de la division à Longveaek
41
. Les soldats du témoin étaient chargés de s’occuper de la frontière, non pas de la sécurité interne
42
. Koh Kong ne disposait d’aucune unité mobile, il n’avait qu’une force purement militaire
43
. Le témoin était en charge de Koh Kong et d’autres îles près de la frontière thaïlandaise. La division 3, commandée par Meas Muth, était en charge des autres îles
44
. Meas Muth n’a jamais directement communiqué avec le témoin, même si les commandants de son régiment ou de son bataillon communiquaient tous les trois jours pour éviter tout conflit
45
. La division 1 ne possédait pas de navires, qui étaient exclusivement réservés à la division 3, mais elle aidait à surveiller les bateaux amarrés sur les îles et disposait de quelques canots à moteur
46
. Lorsque le témoin voyait un navire, il devait le signaler à Soeung et au personnel de la division 3, qui le signalaient à leur tour à leurs supérieurs
47
. Le témoin communiquait avec Soeung par radio et télégramme, et cela tous les jours en cas de problèmes à la frontière thaïlandaise
48
. La division utilisait des télégrammes ou des véhicules pour communiquer avec l’état-major
49
. Quelques fois, ils interceptaient des Khmers qui essayaient de s’enfuir vers la Thaïlande et le signalait à la division
50
. Ces personnes étaient envoyées au secteur, qui prenait des mesures à leur encontre
51
.
Capture de Vietnamiens et de Thaïs
Les bateaux de pèche thaïlandais étaient généralement accompagnés de navires de guerre et au fil du temps, ils pénétraient de plus en plus loin dans les eaux cambodgiennes. Cette situation a été signalée à la division, qui a donné l’ordre d’attaquer les navires qui pénétraient trop loin, ordre qu’elle avait certainement reçu de l’état-major
52
. Ils se sont approchés des navires thaïs, qui ont déclenché les hostilités et répondu à leurs attaques ; des avions ont été utilisés pour ouvrir le feu lors d’un autre affrontement, ce qui a entraîné un conflit au sol et dans les airs avec la Thaïlande pendant une semaine, jusqu’à ce que l’unité du témoin se retire
53
. Ils n’ont capturé aucun soldat thaïlandais
54
. Après cet incident, les bateaux de pêche thaïs étaient beaucoup moins nombreux à pénétrer dans les eaux cambodgiennes
55
. L’unité du témoin a appréhendé quelques bateaux de pêche thaïs sur le territoire cambodgien, sur ordre de la division
56
. Ils ont conservé le bateau et envoyé les gens au quartier général de la division à Kampong Som
57
. Dans son jugement, la Chambre de première instance a cité le témoignage de Meas Voeun selon lequel, « quand un bateau transportant des réfugiés vietnamiens s’approchait des eaux où se trouvait la division 1, sur la côte de la province de Koh Kong, sa division s’en emparait et envoyait les Vietnamiens capturés à ’l’échelon supérieur’, c’est-à-dire au quartier général de la division 164 dans la province de Kampong Som. L’ordre de mener ces opérations était donné par Ta Soeung, commandant de la division 1 de la zone Ouest, qui transmettait ensuite le rapport en amont de la chaîne de commandement. MEAS Voeun a affirmé ne pas savoir ce qu’il advenait des réfugiés vietnamiens une fois qu’ils avaient été envoyés à l’échelon supérieur : ’lorsque mon unité les faisait prisonniers, je les envoyais à l’échelon supérieur – et c’était à lui de prendre la décision’. »
58
La division 1 a aussi arrêté des centaines de réfugiés vietnamiens
59
. Elle les envoyait à Kampong Som et le signalait par télégramme à la division
60
. Les Thaïs et les Vietnamiens étaient ensuite renvoyés dans leur pays respectif
61
.
Centre de sécurité et arrestations
Les centres de sécurité étaient sous le commandement de la zone ou de la division
62
. Meas Voeun a entendu dire qu’il y avait un centre de sécurité dans le district de Prey Nob, à Kaoh Khyang, et que Soeung s’y rendait occasionnellement
63
. Quelques soldats de la division 1 y ont été aperçus. Il y avait une unité spéciale au sein de la division, chargée de mener des enquêtes et d’examiner la biographie de chaque combattant pour voir s’il avait des liens avec l’ancien régime ; elle arrêtait les gens et les envoyait à Soeung
64
. Sur ordre de Soeung, le régiment spécial envoyait certains de ces combattants dont la famille avait des liens avec l’ancien régime dans des centres de rééducation
65
. Le témoin avait ordre de Soeung de garder une trace des biographies, de tenir un registre des performances des soldats et d’enquêter sur leurs activités précédentes, avant de prendre la décision de les retirer des rangs
66
. Certains ont été retirés de la division 1 car ils étaient soupçonnés d’appartenir à la CIA ou d’y être associés
67
.
Congrès de la zone Ouest
Le témoin a assisté à deux congrès de la zone Ouest durant lesquels il a pu apercevoir Pol Pot, mais pas Nuon Chea, même si Soeung disait que Nuon Chea était bel et bien présent
68
. Comme l’a fait remarquer la Chambre de première instance dans son jugement, Meas Voeun a déclaré que le congrès de la zone Ouest de 1977 avait pour objectif de sensibiliser les participants aux tromperies des « Yuons » afin de pouvoir « débusquer les ennemis infiltrés au sein de l’armée et dans les coopératives. C’était ça, leur objectif
69
».
Preah Vihear
Le témoin a quitté Koh Kong en août 1978
70
. Soeung et lui ont rencontré Pol Pot à Phnom Penh au Wat Ounalom avec les commandants des autres divisions, il y avait environ 12 personnes au total
71
. Pol Pot a parlé de la situation à la frontière avec les Vietnamiens, puis a chargé Soeung d’enquêter au sujet de l’emprisonnement de quelques personnes à Siem Reap et au témoin d’enquêter sur les nombreuses arrestations et la pénurie de marchandises à Preah Vihear
72
. Il n’y a pas eu d’annonce officielle, mais le témoin a compris que Ta Mok avait nommé Soeung à la tête de la nouvelle zone Nord
73
. Le secteur 103, qui englobait Siem Reap et Preah Vihear, était un secteur autonome sous la supervision directe du centre, en contact direct avec Khieu Samphân
74
. Le prédécesseur de Meas Voeun en charge de Preah Vihear avait été arrêté
75
. À Preah Vihear, le témoin avait un bureau duquel il pouvait envoyer des télégrammes et en recevoir
76
. Khieu Samphân a demandé au témoin, par télégramme, de prendre des nouvelles de ses proches et de les envoyer à Phnom Penh s’ils rencontraient des difficultés dans leur quotidien
77
. Il a retrouvé le beau-père et la belle-mère de Khieu Samphân, qui étaient dans leur maison mais avaient peur d’être arrêtés ou tués, il les a accompagnés chez Soeung à Siem Reap. Il ne sait pas ce qui leur est arrivé après
78
. Soeung a mené l’enquête et a découvert que la belle-sœur de Khieu Samphân était détenue dans le centre de sécurité de Siem Reap, suite à quoi Meas Voeun et lui-même s’y sont rendus pour la faire libérer
79
. Meas Voeun a contacté Khieu Samphân une fois, pour l’informer de la situation de ses proches et des mauvaises conditions de vie auxquelles était confrontée la population, et du fait que 500 personnes avaient été arrêtées et étaient détenues à Rovieng sans nourriture en quantité suffisante
80
. Il ne sait pas si Khieu Samphân a reçu son télégramme, il pense que non, car les télégrammes arrivaient de plus en plus difficilement à Phnom Penh après août 1978 et parce qu’il n’a jamais reçu de réponse de Khieu Samphân
81
. Khieu Samphân ayant admis avoir appris la situation de ses proches à Preah Vihear
82
, la Chambre de première instance a toutefois considéré que le témoignage de Meas Voeun et le télégramme adressé à Khieu Samphân (dans les éléments de preuve) « non seulement réfutent les affirmations de KHIEU Samphân selon lesquelles il n’était pas au courant de l’arrestation et de la détention de civils ou des conditions auxquelles a été confrontée la population dans tout le pays, mais démontrent aussi le degré d’influence et d’autorité que lui conférait sa position, ce qui lui permettait d’intervenir dans les affaires du Parti
83
». Le témoin s’est rendu compte que les marchandises manquantes qui auraient dû partir de Phnom Penh étaient dans un entrepôt et qu’elles avaient été détruites, la population était donc en grande difficulté
84
. Le témoin n’a pas informé Pol Pot de la situation, mais suppose que Soeung l’a fait
85
. Le témoin est resté à Preah Vihear jusqu’à ce que les Vietnamiens pénètrent dans Phnom Penh le 6 janvier 1979
86
.
Mariages
Bien que le témoin ait affirmé que les mariages n’étaient pas forcés mais issus du consentement et que les personnes qui souhaitaient se marier l’en informaient, et qu’il tenait une liste des soldats souhaitant se marier
87
, la Chambre de première instance a considéré qu’un consentement véritable n’était pas possible
88
. Les hommes devaient avoir au moins 20 ans et les femmes 18
89
. Soeung organisait les mariages et faisait venir quelques femmes appartenant à une unité de femmes reliée à la division pour les présenter à ceux qui souhaitaient se marier
90
. L’idée derrière le mariage des soldats était d’accroître la population cambodgienne
91
.
Les Vietnamiens au Cambodge
Entre 1975 et 1979, le témoin a entendu parler d’un plan visant à éliminer les Vietnamiens vivant au Cambodge
92
. Le témoin a été quelque peu équivoque quant au fait de savoir si le plan consistait à « écraser » ces Vietnamiens ou à simplement les chasser du Cambodge
93
. Tout le monde a entendu, pendant la période du KD, que les Vietnamiens étaient des ennemis héréditaires
94
. Mais les Vietnamiens n’étaient pas tous considérés comme des ennemis, raison pour laquelle il envoyait les Vietnamiens qu’il capturait à l’échelon supérieur, plutôt que de les éliminer en mer
95
. Il était possible de faire la différence entre les Vietnamiens vivant au Cambodge et les Khmers en distinguant leur accent et en interrogeant leurs voisins, qui savaient pour certains depuis combien de temps ils vivaient dans la région
96
.
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