Rappel des faits et rôle
Sao Sarun a témoigné devant la Chambre de première instance dans le dossier N° 002/01
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et dans le dossier N° 002/02
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, au sujet du PCK, des structures de communication et de son rôle de secrétaire de district et de secteur. Les Chambres de première instance se sont appuyées sur son témoignage pour établir les faits concernant le contexte historique, le PCK et la structure de communication.
Engagement précoce dans le PCK dans le Mondolkiri
Sao Sarun était un agriculteur du village de Kaoh Moueleu, dans la province de Mondolkiri. Il a été secrétaire de district du Parti communiste du Kampuchéa (PCK) pour Pech Chenda et secrétaire du secteur 105. Il a été introduit dans le « mouvement révolutionnaire » dans les années 1950 par Ta Laing, qui est devenu par la suite secrétaire du secteur 105.
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En 1963, Sao Sarun a officiellement rejoint le PCK.
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Il a reçu des formations et a été chargé d'éduquer le peuple « sur la construction de l'économie et la lutte contre les impérialistes américains ».
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Après 1970, il est devenu secrétaire communal adjoint à Ou Boun, dans le Mondolkiri, où il était responsable des affaires économiques et de la sécurité de la commune.
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Pendant cette période, la région a été soumise à d’importants bombardements.
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Secrétaire de district à Pech Chenda
Vers 1971, Ta Laing a nommé Sao Sarun en tant que secrétaire du district de Pech Chenda.
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Pech Chenda était l’un des cinq districts du secteur 105
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. Il comprenait quatre communes et environ 3400 habitants
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. Sao Sarun avait pour mission de « diriger les gens » du district
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. Il nommait les secrétaires du parti dans les communes et présidait les réunions mensuelles des comités de district
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. Il recevait les rapports des comités communaux
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et rendait compte chaque semaine au secrétaire du secteur
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. Il faisait partie du comité de secteur qui se réunissait tous les mois ou tous les deux mois
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.
En 1971 et 1972, Sao Sarun a participé à des sessions d'éducation politique à Kampong Thom, animées notamment par Pol Pot et Nuon Chea.
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Situation après le 17 avril 1975
Une dizaine de jours après le 17 avril 1975, Sao Sarun a participé à une réunion de trois jours à Phnom Penh « pour bien comprendre la situation politique post-libération »
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. Il y avait des personnes de tout le pays représentant les secteurs, ainsi que l'armée
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Les cours étaient donnés par Pol Pot et Nuon Chea
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.
Les sessions portaient sur la reconstruction du pays après la libération, les projets de construction de canaux et de barrages, la fermeture des marchés, la création de coopératives et l'abolition de la propriété privée et de la monnaie
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. Il a également été question d'augmenter la population et d'encourager les combattants, hommes et femmes, à se marier
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. Les instructions données lors de la réunion ont ensuite été transmises au niveau des secteurs et des districts
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.
Au Mondolkiri, la riziculture est pratiquée en coopérative depuis la fin des années 1960.
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À partir de 1976, les gens ont été regroupés par 20 ou 30 et ont reçu l'ordre de manger en commun.
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Sao Sarun a déclaré que « il n'y a pas eu de tels mariages forcés. »
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Les cadres n'avaient pas « le droit de forcer quiconque à se marier » mais ils devaient « obtenir le consentement des parents ».
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Les mariages étaient organisés lorsqu'il y avait un consentement mutuel entre le marié et la mariée.
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Travail en tant que secrétaire du secteur 105
En 1977, plusieurs cadres du PCK au Mondolkiri ont disparu, sont morts ou ont été pris alors qu’ils fuyaient.
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Sao Sarun est le seul secrétaire de district du secteur à ne pas avoir été arrêté, tué ou à avoir disparu en 1977.
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Par ailleurs, de nombreux soldats de la division militaire stationnée dans la division 920 de Mondolkiri ont disparu.
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Fin 1977, le secrétaire du secteur 105, Laing, a été tué.
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Il a été demandé à Sao Sarun se rendre à Phnom Penh pour assister à une réunion dans le bureau de Pol Pot, où se trouvaient notamment Pol Pot, Nuon Chea et Son Sen.
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On lui a dit de remplacer Laing.
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Sao Sarun ne se sentait pas qualifié pour ce poste et a protesté, mais Pol Pot a insisté et lui a dit qu'il serait assisté par le commandant de la division 920, Ta San.
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Sao Sarun n'a été officiellement nommé à ce poste que lors du Congrès du Parti en septembre 1978.
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Après l'assassinat de Laing, de nombreux cadres de Mondolkiri ont été arrêtés
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sur « ordre de l'échelon supérieur », ce à quoi Sao Sarun n’a pas pu s’opposer
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.
A partir de janvier 1978, Sao Sarun était chargé de faire rapport aux dirigeants de Phnom, et il envoie régulièrement des télégrammes au « bureau M-870
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». Certains rapports devaient être envoyés quotidiennement, d'autres hebdomadairement ou mensuellement
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. Pol Pot ou Nuon Chea répondaient à ses télégrammes et lui donnaient des instructions
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. De nombreux télégrammes traitaient de questions de sécurité et de l'arrestation de personnes.
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En 1978, la population de Kaev Seima, à la frontière vietnamienne, a été transférée à Kaoh Nheak, dans le district de Pech Chenda
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.
Réunions à Phnom Penh
Au milieu de l'année 1977, Sao Sarun s'est rendu à Phnom Penh pour assister à une nouvelle réunion avec Pol Pot, Nuon Chea, Khieu Samphân et Son Sen, ainsi que six autres cadres d Mondolkiri, dont les commandants militaires responsables de la prison de Phnom Kraol
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. Ils ont parlé de la situation économique, politique et militaire dans le secteur
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. Sao Sarun a rencontré Khieu Samphân pour la première fois à cette occasion ; ils ont discuté de questions économiques et il a demandé des biens pour le secteur
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.
En septembre 1978, Sao Sarun s’est rendu à nouveau à Phnom Penh, où il a participé à un congrès de 10 jours du PCK.
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Des centaines de représentants de tous les districts et secteurs, ainsi que des divisions militaires, ont participé au congrès.
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Sao Sarun était assis à la table à côté de représentants du Mondolkiri, près de l’estrade.
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Des dirigeants du parti, dont Khieu Samphân et Ieng Sary, ont été appelés sur scène et présentés comme membres du comité central.
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Beaucoup ont fait des présentations, mais la plupart des sessions ont été tenues par Nuon Chea.
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Au cours du congrès, la politique du parti concernant le traitement des ennemis internes a notamment été distribuée et soumise à discussion, et les cadres ont été invités à diffuser l'information dans leurs secteurs et districts respectifs.
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Lors de ce congrès, Sao Sarun a été officiellement nommé secrétaire du secteur 105
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. Avant cela, on lui a fait lire des aveux de Laing le mettant en cause lui, Sao Sarun
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.
Arrestation de cadres du secteur 105
Fin 1978, Sao Sarun s'est à nouveau rendu à Phnom Penh sur ordre de Pol Pot, en compagnie d'autres cadres du Mondolkiri,
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dont Ta Kim et Ta Sophea, qui ont été emmenés à leur arrivée et ont disparu
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: « Tout le monde avait peur lorsqu’on était appelé à Phnom Penh parce qu’une personne qui était envoyée à Phnom Penh ne revenait jamais. [...] L'ordre devait venir de Pol Pot. Ces personnes étaient appelées à aller travailler et elles disparaissaient
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». « On ne pouvait pas arrêter des gens de façon arbitraire », mais seulement s'il y avait « une analyse, un jugement précis
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». Personnellement, il n'a jamais arrêté ni exécuté personne, il n'avait pas ce pouvoir
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. Il n'était pas au courant de l'arrestation d'un cadre de son secteur et de son transfert au S-21
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.
Phnom Kraol (K-11)
Sao Sarun a confirmé qu'il existait un centre de détention (K-11) à Phnom Kraol, à proximité du bureau du secteur K-17,
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mais qu'il n'avait aucune responsabilité à cet égard.
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Au K-11, il n'y avait que trois ou quatre prisonniers de sexe masculin et pas d'enfants ; Ta Laing était responsable.
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Lorsque Sao Sarun a pris ses fonctions, il a affirmé avoir libéré, après les avoir interrogés, certains prisonniers accusés de délits mineurs tels que des bris de cuillères.
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Le K-11 était administré par des soldats, pas par la police.
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Sao Sarun a déclaré qu'il ne se rendait qu'occasionnellement au bureau de secteur K-17, et qu'il n'y avait pas de prisonniers au bureau K-17.
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Évaluation par les juridictions
Dans le dossier N° 002/01, la Chambre de première instance s'est référée au témoignage de Sao Sarun pour établir les faits concernant le contexte historique général et la situation au Mondolkiri avant 1975,
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le PCK et les structures de communication au niveau de la commune, du district, du secteur et au niveau national,
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les éloignements de population de la frontière vietnamienne
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et les rôles de Nuon Chea
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et de Khieu Samphân.
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Dans le dossier N° 002/02, la Chambre de première instance s'est parfois appuyée sur le témoignage de Sao Sarun pour établir les faits concernant les structures du parti et de la communication du PCK,
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la structure politique et militaire dans le Mondolkiri,
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y compris le centre de sécurité de Phnom Kraol,
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et le rôle de Nuon Chea.
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Néanmoins, la Chambre a noté que la déposition de Sao Sarun était « caractérisée par une mauvaise mémoire de ses souvenirs et des dénis catégoriques » et a constaté qu'il avait cherché à « minimiser son propre rôle
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». Par conséquent, la Chambre n'a accordé « aucun poids au témoignage de SAO Sarun pour autant qu’il se rapporte à des assertions qui n’ont pas été corroborées par d’autres témoins ou par d’autres éléments de preuve pertinents et fiables, produits devant la Chambre
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».
La Chambre dans le dossier n° 002/02 a explicitement rejeté son assertion « selon laquelle les arrestations intervenaient à l’issue d’un processus légitime » et qu'il n'était pas dans le pouvoir du secrétaire du secteur 105 de procéder à des arrestations
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.
En évaluant le témoignage de Sao Sarun concernant le nombre de prisonniers ou les conditions de détention au centre de sécurité de Phnom Kraol, la Chambre de première instance a noté, dans le dossier n° 002/02, que les informations qu’ils avaient données « n’étaient pas cohérentes entre elles et étaient en flagrant contraste avec les autres dépositions entendues par la Chambre
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». La Chambre a attribué « les incohérences relevées dans le témoignage de SAO Sarun au fait qu’il a conscience du caractère répréhensible de ses actes, aux mobiles qui l’incitent à mentir et à minimiser sa propre responsabilité », et n'a donc accordé aucun poids à son témoignage
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.
En ce qui concerne les mariages forcés, la Chambre s'est appuyée sur la déclaration du témoin pour établir le fait que les mariages étaient encouragés pour augmenter la population, mais a rejeté son affirmation selon laquelle les mariages n'étaient célébrés qu'avec le consentement des couples concernés
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