La Chambre préliminaire des CETC a rendu ses constatations relatives aux appels interjetés contre les ordonnances des co-juges d’instruction dans le dossier n° 004/2

Aujourd’hui, la Chambre préliminaire des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens a rendu ses constatations relatives aux appels interjetés contre les ordonnances des co-juges d’instruction dans le dossier n° 004/2.

Le 16 août 2018, au terme d’une instruction qui a duré 10 années, le co-juge d’instruction international a renvoyé AO An devant la juridiction de jugement, tandis que le même jour, le co-juge d’instruction cambodgien a rendu une ordonnance de non-lieu pour tous les faits reprochés à AO An. Pour la première fois dans l’histoire judiciaire, la Chambre préliminaire se trouvait devant deux ordonnances de clôture contradictoires rendues par le même organe judiciaire.

La Chambre préliminaire a ensuite été saisie des appels interjetés par la co-procureure cambodgienne et par les co-avocats de AO An contre l’Ordonnance de renvoi du co-juge d’instruction international, respectivement le 14 décembre 2018 et le 19 décembre 2018, et de l’appel interjeté par le co-procureur international le 20 décembre 2018 contre l’Ordonnance de non-lieu du co-juge d’instruction cambodgien.

Les 19, 20 et 21 juin 2019, la Chambre préliminaire a tenu une audience en vue d’entendre les moyens des parties dans le dossier n° 004/2.

Partie commune de la Décision, prononcée à l’unanimité par la Chambre préliminaire

Premièrement, après un examen méticuleux du dossier, la Chambre préliminaire a conclu que la délivrance simultanée de deux ordonnances de clôture contradictoires par les co-juges d’instruction était illégale et portait atteinte au fondement même du cadre juridique des CETC.

La Chambre préliminaire a conclu que la conduite conjointe de l’instruction par le co-juge d’instruction cambodgien et le co-juge d’instruction international était un principe juridique fondamental des CETC (par. 103). Plus précisément dans le cas de désaccords concernant des questions qui doivent être tranchées par une ordonnance de clôture en application de la Règle 67 du Règlement intérieur, la Chambre a conclu que le cadre juridique des CETC n’ouvrait que deux voies possibles en application de l’article 23 (nouveau) de la Loi relative CETC et de la Règle 72 3) du Règlement intérieur. Les co-juges d’instruction sont tenus soit de trouver un consensus tacite ou exprès sur ces questions, soit de saisir la Chambre préliminaire de leur désaccord sur ces questions (par. 120).

La Chambre préliminaire a également précisé son autorité sur la phase de l’instruction (par. 31 à 54). Elle a confirmé que les CETC constituaient un tribunal spécialisé au sein de l’appareil judiciaire du Cambodge (par. 58), et elle a rappelé qu’elle avait conclu à l’unanimité dans le dossier n° 004/1 que le droit applicable des CETC n’empêchait pas la compétence nationale et que les tribunaux cambodgiens ordinaires étaient par nature pleinement compétents pour toutes les affaires pénales (par. 59).

La Chambre préliminaire a fait observer que la délivrance des deux Ordonnances de clôture par les co-juges d’instruction est intervenue plus de 16 mois après avoir notifié, pour la deuxième fois, la fin de l’instruction et à conclu que que les co-juges d’instruction n’ont pas rendu les Ordonnances de clôture dans un délai raisonnable (par. 62 et 70).

Conformément à la Règle 77 13) du Règlement intérieur, la décision n’est pas susceptible d’appel.

Opinion des juges cambodgiens

De l’avis des juges cambodgiens, l’histoire des négociations qui ont donné lieu à l’accord entre l’Organisation des Nations Unies et le Gouvernement royal cambodgien n’envisage la poursuite que d’un petit nombre de personnes devant les CETC (par. 203), c’est-à-dire soit les dirigeants, soit les principaux responsables. Les juges cambodgiens ont conclu que les sept personnes qui composaient le Comité permanent du PCK étaient considérées comme les dirigeants du régime du Kampuchéa démocratique (par. 224), tandis que KAING Guek Eav n’était pas un haut dirigeant du régime du Kampuchéa démocratique.

S’agissant du dossier n° 004/2, les juges cambodgiens de la Chambre préliminaire ont considéré que le co-juge d’instruction cambodgien avait mené l’instruction de manière approfondie (par. 282) et que l’Ordonnance de non-lieu qu’il a rendue en faveur de AO An était par conséquent justifiée en droit et devait être confirmée.

En revanche, les juges cambodgiens ont conclu que les mesures prises par le co-juge d’instruction international ne correspondaient pas aux idées des rédacteurs des textes, à la structure administrative du Kampuchéa démocratique, à la jurisprudence internationale et à ses propres affirmations antérieures (par. 293). Les juges cambodgiens ont par ailleurs estimé que la délivrance de deux ordonnances de clôture contradictoires avait créé un vide juridique (par. 295). Dans un tel scenario, les juges nationaux ont considéré que toute disposition juridique, y compris la Règle 77 13) du Règlement intérieur, devrait être interprétée en faveur de l’accusé dans le but de surmonter l’impasse dans laquelle se trouve le dossier no 004/2 (par. 296 à 301). Par conséquent, les juges cambodgiens ont conclu que la décision du co-juge d’instruction international de renvoyer AO An en jugement était erronée en droit et devait être rejetée.

Opinion des juges internationaux

Tout d’abord, les juges internationaux ont rappelé que les co-juges d’instruction s’étaient à tort arrogé le pouvoir de rendre des ordonnances de clôture distinctes et contradictoires (par. 316). Les juges internationaux ont examiné la validité de chacune des ordonnances de clôture et ont conclu que leur conformité au droit applicable devant les CETC n’était pas la même (par. 317 à 326). Les juges internationaux ont considéré qu’il avait été raisonnablement déduit du libellé des articles 5 4), 6 4) et 7 de l’Accord relatif aux CETC, des articles 20 (nouveau) et 23 (nouveau) de la Loi relative aux CETC et des Règles 13 5), 14 7), 71 et 72 du Règlement intérieur que l’objectif principal du mécanisme de règlement des désaccords était d’empêcher qu’une impasse ne permette pas de renvoyer l’affaire en jugement (par. 323).

Les juges internationaux ont conclu que le co-juge d’instruction cambodgien avait outrepassé ses pouvoirs en rendant l’Ordonnance de non-lieu en faveur de AO An et que cette dernière était par conséquent nulle, tandis que l’Ordonnance de renvoi rendue par le co-juge d’instruction international était confirmée (par. 326) et que AO An était par conséquent mis en accusation et renvoyé en jugement devant la Chambre de première instance. Après avoir passé en revue tous les moyens d’appel recevables, les juges internationaux ont révisé l’Ordonnance de renvoi du co‑juge d’instruction international pour génocide (par. 632). En outre, conformément à la règle 44 du Règlement intérieur et au regard des éléments versés au dossier, les juges internationaux ont conclu que le co-juge d’instruction international avait commis une erreur en n’envisageant aucune des mesures de sûreté à sa disposition. Ils ont estimé que AO An, accusé d’avoir commis les crimes les plus graves, à savoir le génocide, des crimes contre l’humanité et l’assassinat, aurait dû faire l’objet d’un mandat d’arrêt (par. 688 à 693).

Dans la mesure où la majorité qualifiée des votes requise pour statuer n’a pas été atteinte, la présente situation est régie par la Règle 77 13) du Règlement intérieur.

L’Ordonnance de renvoi n’est pas infirmée et produit ses effets. 

La décision de la Chambre préliminaire est disponible à l’adresse suivante :

https://eccc.gov.kh/sites/default/files/documents/courtdoc/%5Bdate-in-tz%5D/D359_24_FR.PDF

 

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