Nuon Chea et Khieu Samphan sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité pour crimes contre l’humanité

Aujourd’hui, la Chambre de première instance des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux
cambodgiens (CETC) a déclaré Nuon Chea et Khieu Samphan coupables de crimes contre l’humanité
commis entre le 17 avril 1975 et décembre 1977 et les a condamnés à la réclusion criminelle à
perpétuité.

Nuon Chea a été secrétaire-adjoint du Parti communiste du Kampuchéa démocratique (PCK) et
membre à la fois du Comité central et du Comité permanent du PCK. Nuon Chea détenait avec Pol Pot
le pouvoir décisionnel ultime au sein du parti. À plusieurs occasions à partir de septembre 1976, et
jusqu’en 1977 lorsque Pol Pot a repris ses fonctions, Nuon Chea a officiellement exercé les fonctions
de premier ministre par intérim du Kampuchéa démocratique. Le rang élevé de NUON Chea dans la
direction du PCK lui conférait le pouvoir de superviser toutes les activités du Parti, y compris celles
allant au-delà des fonctions et responsabilités dont il a été officiellement investi durant la période du
Kampuchéa démocratique. Khieu Samphan est devenu membre candidat du Comité central du PCK en
1971 et membre de plein droit en 1976. Il a été l’un des deux membres du Bureau 870 qui supervisait
la mise en oeuvre des décisions du Comité permanent du PCK. En sa qualité de membre du Bureau 870
il a été chargé du commerce et a joué un rôle important dans le domaine de l’économie et du
commerce extérieur du Kampuchéa démocratique. En avril 1976, Khieu Samphan a été nommé
Président du Présidium de l’État. S’il est vrai que ces fonctions étaient essentiellement symboliques et
dépourvues de tout pouvoir de décision, il n’en reste pas moins qu’il jouissait de la confiance des
autres membres du Centre du parti et qu’il a participé à des réunions du Comité central et du Comité
permanent.

La Chambre de première instance est convaincue que Nuon Chea et Khieu Samphan, avec les autres
membres du Comité permanent et du Comité central, les ministres du gouvernement et les secrétaires
de Zone, ont participé à une entreprise criminelle commune, ce groupe de personnes ayant pour projet
commun de réaliser une révolution socialiste rapide, par tous les moyens, à la faveur d’un « grand
bond en avant ». La Chambre est convaincue que ce projet commun a été mis en oeuvre à l’aide, entre
autres moyens, de politiques ayant pour objet de transférer de force les habitants des villes et de
procéder à des déplacements forcés de population entre les zones rurales. En conséquence, en avril
1975, durant la première phase de déplacements de population, les soldats khmers rouges ont procédé
à l’évacuation forcée de Phnom Penh et déplacé au moins deux millions de personnes, sous des
prétextes fallacieux et des menaces, souvent sous la pression des armes, pratiquement sans
avertissement, et dans une situation marquée par la terreur et les actes de violence. Lorsqu’elle a été
expulsée, la population de Phnom Penh avait vécu un siège prolongé caractérisé par des pénuries
alimentaires, de sorte qu’elle était gravement affaiblie. C’est dans un tel état d’affaiblissement que la
population a été contrainte de marcher vers les zones rurales, durant le mois le plus chaud de l’année,
pratiquement sans nourriture, sans eau, ni soins médicaux, ni hébergement ou moyen de transport.
Toute la population de Phnom Penh sans exception a été évacuée, y compris les moines, les personnes
âgées et les enfants, les malades et les blessés qui se trouvaient dans les hôpitaux, les femmes
enceintes et celles qui venaient d’accoucher. Il y a eu de très nombreux cas où les soldats khmers
rouges ont fusillé et tué des civils au cours de l’évacuation, et de nombreuses personnes sont mortes
d’épuisement, de malnutrition ou de maladie.

Durant la deuxième phase des déplacements de population, de septembre 1975 à décembre 1977, sur
tout le territoire du Cambodge, au moins 330 000 à 430 000 personnes ont été déplacées de force. La
plupart des personnes ont reçu l’ordre de partir et ont été transférées sous la surveillance de gardes
armés. Celles qui refusaient d’être déplacées ou tentaient de fuir étaient arrêtées, détenues ou
déplacées lors d’un transfert suivant. Les personnes étaient transportées en camion, en bateau, en char
à boeufs ou se déplaçaient à pied. Elles étaient constamment sous surveillance, n’avaient pas d’eau et
de nourriture, et n’étaient pas autorisées à amener quoi que ce soit avec elles. Les personnes qui
voyageaient en camion étaient surveillées par des soldats khmers rouges qui tiraient sur celles qui
tentaient de s’enfuir. Certaines personnes sont mortes d’épuisement, de faim ou de maladie.
La Chambre de première instance est également convaincue que Nuon Chea et Khieu Samphan ont
mis en oeuvre le projet commun en ayant recours à une politique ayant consisté à prendre des mesures
spécifiques à l’encontre des anciens soldats et fonctionnaires de la République khmère. Cette politique
a notamment eu pour résultat l’exécution à Tuol Po Chrey, immédiatement après le 17 avril 1975, d’au
moins 250 soldats et fonctionnaires de la République khmère qui avaient été emmenés de Pursat.
La Chambre a dit que Nuon Chea et Khieu Samphan, par leur participation à l’entreprise criminelle
commune, ont commis les crimes contre l’humanité suivants : meurtre, persécution pour motifs
politiques et autres actes inhumains (sous la forme de transferts forcés et d’atteintes à la dignité
humaine) durant la phase un des déplacements de population ; persécution pour motifs politiques et
autres actes inhumains (sous la forme de transferts forcés et d’atteintes à la dignité humaine) durant la
phase deux des déplacements de population ; et meurtre et extermination du fait de l’exécution des
soldats et fonctionnaires de la République khmère sur le site de Tuol Po Chrey. La Chambre a dit aussi
que Nuon Chea et Khieu Samphan ont planifié, incité à commettre et aidé et encouragé les crimes
suivants : extermination (durant les phases un et deux de déplacements de population), autres actes
inhumains (sous la forme de disparitions forcées) (durant la phase deux des déplacements de
population) et persécution pour motifs politiques (à Tuol Po Chrey). La Chambre a dit en outre que
Nuon Chea avait ordonné ces crimes.

La Chambre a dit que Nuon Chea seul était pénalement responsable à titre de supérieur hiérarchique
pour tous les crimes commis lors des déplacements de population et à Tuol Po Chrey, un élément dont
il a été tenu compte pour fixer la peine.

Pour fixer la peine à appliquer, la Chambre de première instance a pris en compte la gravité des
crimes, y compris le fait qu’ils ont été commis sur toute l’étendue du territoire cambodgien durant une
période de plus de deux ans et demi et le très grand nombre de victimes, qui figure au rang des plus
élevés parmi des affaires jamais jugées au regard du droit international. La gravité des crimes est
encore illustrée par les conditions implacables, extrêmes et inhumaines dans lesquelles se sont
déroulés les déplacements forcés. La gravité des crimes est encore démontrée par les graves
répercussions qu’elles ont entraînées dans le long terme pour les victimes, pour leurs proches et pour
le Cambodge en général. La Chambre de première instance a conclu à l’existence de nombreuses
circonstances aggravantes (Nuon Chea et Khieu Samphan disposaient d’un excellent niveau
d’éducation et comprenaient bien la portée et la conséquence de leurs actes ; l’abus dans l’exercice de
leur pouvoir, des fonctions qu’ils occupaient et de l’influence dont ils jouissaient ; et le fait que de
nombreuses victimes étaient vulnérables et sans défense) avec des circonstances atténuantes limitées.
La Chambre a condamné Nuon Chea et Khieu Samphan à la réclusion criminelle à perpétuité,
rappelant qu’ils ont chacun le droit de faire appel des déclarations de culpabilité et de la
condamnation.

La Chambre de première instance est convaincue qu’en raison des crimes pour lesquels Nuon Chea et
Khieu Samphan ont été déclarés coupables, les Parties civiles et un très grand nombre de victimes
supplémentaires ont subi un dommage incommensurable, sous la forme notamment de souffrances
physiques, de dommages matériels, d’atteintes à la dignité humaine et de traumatismes psychologiques
résultant de la perte de membres de leur famille ou de proches. Par conséquent la Chambre a approuvé
la mise en oeuvre de 11 projets ayant pour objet de reconnaître de manière appropriée le dommage subi
par les Parties civiles en conséquence des crimes faisant l’objet de ce procès et constituant des
réparations des souffrances qu’elles ont endurées. La Chambre a approuvé les projets suivants :
l’instauration d’une journée nationale officielle de commémoration ; l’édification à Phnom Penh d’un
monument commémoratif en hommage aux victimes des évacuations forcées ; un projet de
témoignages à visée thérapeutique ; des groupes d’entraide ; une exposition permanente ; une
exposition itinérante et un projet éducatif ; l’insertion dans un manuel scolaire cambodgien d’un
chapitre sur les déplacements forcés de population et les exécutions à Tuol Po Chrey ; l’édification
d’un centre d’apprentissage de la paix ; la réalisation d’un livret portant sur les faits visés par le
premier procès dans le dossier n° 002 et sur la participation des parties civiles ; deux éditions du
Jugement rendu au terme du premier procès dans le dossier n° 002 ; et la publication du nom des
Parties civiles sur le site internet des CETC.Dans ce procès, les audiences au fond ont commencé le 21
novembre 2011 et se sont achevées avec les déclarations finales le 31 octobre 2013. Lors des 222 jours
d’audience, la Chambre de première instance a entendu les dépositions de 92 personnes, dont 53
témoins des faits, 5 témoins de personnalité, 31 Parties civiles et 3 experts. 103 724 personnes ont
assisté aux audiences, ce qui est un nombre sans précédent.