Site de Construction de l’Aéroport de Kampong Chhnang

Posted 12 juin 2015 / Mis à jour 16 janvier 2017
Democratic Kampuchea Zone
Democratic Kampuchea District
Democratic Kampuchea Sector
Current Day District
Current Day Province
Alleged Crimes

[Avertissement: Le contenu dans les ordonnances de clôture sont des allégations, qui doivent être prouvées par des débats contradictoires. En tant que tel, les allégations ci-dessous ne peuvent pas être traitées comme des faits, sauf si elles ont été établies comme telles par un jugement définitif.]

Extraits de l’ordonnance de clôture du Dossier 002:

383. Le site de contruction de l’aéroport de Kampong Chhnang était situé dans le village de Patlang, sous-district de Kraing Lea, District de Rolea P’ier, dans la province de Kampong Chhnang. Selon le système d’identification des frontières administratives du PCK, il se trouvait dans le District 20, Secteur 31, dans la Zone Ouest (Zone 401). L’aérodrome existe toujours et couvre trois cents hectares. Il se compose de deux pistes de 2 400 mètres chacune, d’une tour de contrôle et d’un bloc administratif. En tout, le site faisait sept kilomètres de long et comprenait la maison du superviseur et les cuisines du chantier (toutes deux étaient situées à deux kilomètres au sud-ouest de la piste), ainsi qu’un tunnel en cours de construction dans la colline située non loin  . 

384. La nécessité de construire un nouvel aérodrome militaire fut examinée et discutée par le Comité permanent au cours de réunions tenues à la fin de l’année 1975 et au début de l’année 1976. Le choix de Kampong Chhnang fut officialisé au cours de la réunion qui se déroula du 19 au 21 avril 1976  . Les témoins font remonter le début de la contruction au début de l’année 1976  . Il ressort des procès-verbaux d’une réunion du Comité permanent qu’en tous cas la contruction avait déjà commencé aux alentours du mois de mai 1976  . Le site était toujours en construction en janvier 1979 et ne fut jamais achevé  . 

Fonctionnement 

Organisation et personnel 

385. La décision de construire un aéroport à Kampong Chhnang fut prise par le Comité permanent. Nuon Chea, Khieu Samphan et Ieng Sary assistèrent à cette réunion, comme le montre l’un des procès-verbaux de la réunion  . Son Sen, le chef d’état-major général, fit rapport de l’état d’avancement des travaux au cours d’une autre réunion du Comité permanent, tenue en mai 1976, à laquelle assistèrent Nuon Chea et Khieu Samphan  . 

386. La construction de l’aéroport de Kampong Chhnang se fit sous le contrôle de la Division 502 du Centre  . Cette division fut créée peu de temps après le 17 avril 1975, par fusion de plusieurs unités pré-existantes  . A l’instar des autres divisions du Centre, elle relevait directement de l’Etat-major et de son chef, Son Sen  . La Division 502 avait notamment sous ses ordres l’aviation de l’ARK et était responsable de tous les aéroports au Cambodge.  . [CAVIARDÉ], le secrétaire du Comité de la Division 502  , se rendait régulièrement sur le site de Kampong Chhnang  . En dépit de ses dénégations, formulées au cours d’une audition, il semble que [CAVIARDÉ] ait été un cadre dirigeant de la Division 502  . Les témoins ont désigné Lvey (décédé) comme ayant été l’adjoint de [CAVIARDÉ], à tout le moins pendant un certain laps de temps au cours de la construction de l’aéroport. Il était responsable de la supervision directe du site  . Lvey tenait des réunions quotidiennes concernant la construction de l’aéroport, sur lequel il se rendait, du reste, tous les jours, et donnait des ordres à ses assistants. Des réunions de critique/autocritique étaient en outre organisées à l’intention des cadres  . Le secrétaire du Comité de la Division 502 assistait aux réunions, organisées à intervalles réguliers, entre le chef de l’Etat-major général et les cadres supérieurs des divisions du Centre et des régiments indépendants. Au cours de ces réunions, ces cadres faisaient rapport à Son Sen, en particulier sur divers sujets intéressant la situation ennemie, interne et externe, et sollicitait des instructions aux fins de mise en œuvre à l’échelon de la division  . 

387. Le site de contruction de l’aéroport de Kampong Chhnang a été utilisé dans le cadre du processus de purge des membres de l’ARK, pour ré-éduquer ceux d’entre eux considérés comme de « mauvais éléments », qu’ils appartiennent à la Division 502 elle-même   ou à d’autres divisions ou unités militaires. Il ressort des procès-verbaux desdites réunions, corroborés par des lettres et des rapports échangés entre la Division 502 et S-21  , que la Division 502 participa activement à la purge des membres de l’Armée révolutionnaire du Kampuchéa. À titre d’exemple, au cours de l’une de ces réunions militaires, en l’espèce celle du 9 octobre 1976, le secrétaire du Comité de la division 502 déclara « Ces problèmes montrent que nous avons éliminé les ennemis, en général. Mais, il faut continuer à prendre des mesures. Il ne faut pas qu'il y ait des deuxièmement, troisièmement ou autre. Les ennemis ne peuvent plus nous toucher quand notre armée est solide et propre en politique. Il faut renforcer le Parti, sur le plan de la politique, de la mentalité et du commandement. Il faut oser purger, à tout prix  . » Au cours d’une autre réunion, en mars 1977, il constata que « Un certain nombre d'éléments que nous avons arrêtés dans le passé sont certainement des éléments ennemis. Plus de 50 mauvais éléments ont été envoyés à S-21. Concernant les secrétaires de compagnies, il faut retirer cinq personnes encore pour être en sécurité  . » 

388. Plusieurs témoins attestent de ce que les personnes mises en examen sont venues sur le Site de contruction de l’aéroport de Kampong Chhnang. Un ancien cadre explique que Khieu Samphan et Ieng Sary sont venus au début de l’année 1977 et qu’à cette occasion, ils ont rencontré le responsable du site  . Un ancien ouvrier affirme avoir vu Ieng Sary, Nuon Chea et Ke Pok visiter le site, regarder les ouvriers travailler et rencontrer les responsables du site à diverses reprises entre 1978 et la fin du régime du Kampuchéa démocratique  . Un autre ouvrier a vu Khieu Samphan visiter le site à la fin de l’année 1977  . De même, un quatrième témoin explique qu’à la fin de l’année 1977, il a vu Khieu Samphan arriver en hélicoptère sur le site, pour voir les ouvriers travailler  . Celui qui fut son chauffeur, de 1978 à la fin du régime, déclare que Khieu Samphan ne s’est jamais rendu sur le site durant cette période  . Plusieurs témoins font également état de la présence, à diverses reprises, de Ta Mok sur le site  . 

Conditions de vie et de travail  

389. Le nombre d’ouvriers présents sur le site évolua au fil du temps, passant de quelques centaines au début de l’année 1976 à plus de 10 000 en 1977  . S’agissant d’un site de construction militaire, presque tous les ouvriers, hommes et femmes  , avaient été membres de l’ARK  . Quatorze anciens ouvriers ont été entendus comme témoins  . Il ressort des témoignages qu’on envoyait les ouvriers sur le Site de Kampong Chhnang aux fins de les endurcir ou de les rééduquer, en raison de leur biographie jugée « mauvaise » ou de leurs liens supposés avec les réseaux de traîtres  . Outre les « mauvais éléments » de la Division 502 elle-même  , la plupart des ouvriers avaient été envoyés sur ce site en raison de leur liens supposés avec les cadres des unités de l’ARK arrêtés et envoyés à S-21, parmi lesquels des cadres de la Division 170 du Centre (une ancienne unité de la Zone Est)  , la Division 310 du Centre  , la Division 450 du Centre  (anciennes unités de la Zone Nord)   et la Division 703 du Centre  , une ancienne unité de la Zone Spéciale. À partir de 1978, la plupart des soldats envoyés à Kampong Chhnang le furent parce que leurs supérieurs hiérarchiques venaient de la Zone Est ou avaient des liens avec cette Zone. Ils arrivaient généralement en camion, par groupe de la même unité militaire  . Toutefois, il y avait aussi des soldats des Zones Sud-Ouest et Ouest  . De surcroît, selon un témoin qui, à l’époque des faits, travaillait pour le ministère des Affaires étrangères (B1), des employés de B1 auraient également été envoyés sur ce site  . Enfin, certains ouvriers ou employés furent d’abord rééduqués dans d’autres sites  , parmi lesquels Prey Sar (S-24),   avant de travailler à Kampong Chhnang.  

390. Les conditions de vie et de travail variaient en fonction de la « traîtrise » supposée de l’ouvrier. Plusieurs témoins expliquent que la journée de travail démarrait à 7 heures et prenait fin à 17 heures, entrecoupée d’une pause de 11 à 13 heures. D’autres ouvriers travaillaient uniquement la nuit   alors que les ouvriers qui passaient pour les plus grands traîtres devaient travailler de jour comme de nuit  . Les ouvriers travaillaient sept jours sur sept  . 

391. Pour la construction de la piste, les ouvriers eurent à couper les arbres, à extraire les souches de terre et à ramasser toutes les racines afin de préparer le terrain, à creuser, passer au bulldozer, casser la roche, presser et damer la terre, transporter et mélanger le ciment et le sable, emplir le tarmac de béton et niveller le sol  . D’autres soldats travaillaient sur le coteau situé à proximité de la piste : les uns travaillaient dans la carrière, les autres creusaient un tunnel  . Plusieurs témoins rapportent que les ouvriers étaient souvent blessés, voire tués par des éboulements  . Un témoin a vu une personne mourir parce qu’elle avait été atteinte par les fragments projetés lors de l’explosion d’une roche  . Quelques machines chinoises se trouvaient sur le site mais la majorité des travaux fut effectuée à la main  . Tout au long de la phase de construction, le site bénéficia de l’assistance d’un grand nombre de techniciens chinois  . Les ouvriers évoluaient sous le contrôle rigoureux des gardes  . 

392. Pour certaines catégories d’ouvriers, les rations alimentaires étaient insuffisantes  . En revanche, celles des cadres   et d’autres ouvriers, notamment ceux qui travaillaient avec les spécialistes chinois, étaient plus abondantes et de meilleure qualité  . Les ouvriers qui tombaient malades étaient conduits, en ambulance, à l’hôpital de Kampong Chhnang  . Les témoins expliquent qu’un certain nombre d’ouvriers sont morts de faim, de maladie, de surmenage ou d’épuisement  . Un cadre indique par ailleurs que des ouvriers se suicidaient toutes les semaines. Un autre précise que les cadavres de ceux qui mouraient sur le site étaient brûlés dans la forêt située à proximité de la pagode de Steung  . 

Sécurité 

393. Les témoins ont vu un grand nombre d’ouvriers disparaître du Site de contruction de l’aéroport de Kampong Chhnang  . Ils ont relevé une corrélation entre les réunions de critique/auto-critique quotidiennes et les disparitions  . Au cours de ces réunions, il était reproché aux ouvriers d’être malades ou paresseux, d’avoir commis des erreurs dans leur travail ou une infraction mineure - voler du tabac, par exemple - ou d’entretenir des liens avec les Vietnamiens  . Plusieurs témoins ont vu des camions transportant des ouvriers quitter l’aréoport ; ils n’ont jamais vu revenir les ouvriers  . De nombreux témoins expliquent qu’ils ne pouvaient être certains du sort reel qui attendait les personnes qui disparaissaient puisqu’ils n’ont pas été témoin des exécutions.  . 

394. Un ouvrier affirme avoir assisté à des arrestations alors qu’il se trouvait dans le bureau de Lvey, précisant que ce dernier était toujours présent lors des arrestations  . 

395. Plusieurs témoins ont cru comprendre que les prisonniers qui avaient disparu avaient été tués ; ils indiquent qu’il s’agissait pour la plupart d’ouvriers originaires de la Zone Est ou ayant des liens avec cette zone  . Un témoin a entendu dire que des personnes étaient emmenées à l’ouest de l’aéroport pour y être tuées  . Un autre raconte qu’il a vu des cadavres dans des fosses creusées sur la montagne de Piem Lok, distante de cinq kilomètres environ de l’aéroport ; il suppose qu’il s’agissait des cadavres d’ouvriers du site de l’aéroport, sans cependant pouvoir l’affirmer avec certitude  . Un ancien cadre du site a identifié un endroit situé à trois kilomètres au nord-ouest dudit site où, d’après lui, pouvait se trouver une fosse commune contenant les cadavres d’ouvriers exécutés en 1977 : il avait vu des camions qui transportaient des personnes s’arrêter à cet endroit. Très peu de temps après que le camion se fut arrêté, il avait entendu des hurlements s’élever de cet endroit et, sept jours plus tard, il avait senti l’odeur de cadavres décomposés. Cependant, il n’y a pas de restes humains visibles à cet endroit actuellement  . Aucun des témoins n’a directement assisté à l’exécution d’ouvriers du site  . Rien n’indique que des exécutions aient eu lieu sur le site lui-même. 

396. Il semble que certains ouvriers aient été envoyés de Kampong Chhnang à Phnom Penh. Certains témoins ont cru comprendre que les ouvriers que l’on faisait monter dans les camions étaient envoyés à Phnom Penh, Prey Sar (S-24) et S-21 étant les destinations possibles  . Un témoin raconte qu’il a vu 30 ouvriers de la Zone Est ligotés et transportés dans des camions le long de la Route Nationale 5  . Un ancien gardien de S-21 explique qu’il pense avoir été envoyé à S-24 aux fins de rééducation car son frère, [CAVIARDÉ], qui était au Site de  Kampong Chhnang, avait été arrêté et envoyé à S-21 à la fin de l’année 1978  . D’autres témoins confirment que des ouvriers travaillant à l’aéroport ont été envoyés à S-21  , comme l’ont été certains cadres de ce même site. Il semble que Yim Sam Ol alias « Nhâ » dont le nom est cité parmi les personnes disparues du site de l’aéroport, fut envoyé à S-21 à la fin de l’année 1978  . Duch a aussi  expliqué, au cours de son procès, que son beau-frère, cadre sur ce Chantier, avait été transféré à S-21  . En dépit de ces témoignages, certains témoins affirment qu’à leur connaissance, aucun ouvrier n’a disparu, n’a été arrêté ou tué  . 

397. De nombreux ouvriers (parmi lesquels un certain nombre de témoins) furent par la suite réintégrés dans l’ARK et envoyés au combat dans le conflit opposant le Kampuchéa démocratique au Vietnam . 

398. La construction de l’aéroport se poursuivait toujours au moment où les Vietnamiens atteignirent la province de Kampong Chhnang au début de l’année 1979. À cette date, les travaux cessèrent et les ouvriers furent évacués  . La majorité d’entre-eux allèrent à la gare de Romeas, située à 20 kilomètres au sud de l’aéroport, dans le District de Toek Phos (district 14)  . On disait aux ouvriers qu’ils devaient être armés pour combattre les Vietnamiens. Cependant, les soldats de la Zone Est furent séparés des autres et exécutés à la pagode de Mongol Khan, située dans le village de Tuol Kpos, et à l’ancien fort français du village de Kbal Lan (Sous-district d’Aphivoat, district de Teuk Phos)  . Ces exécutions systématiques des soldats de la Zone Est eurent lieu après le 6 janvier 1979  . * * *